Hirokazu Kore-eda: "J'ai été franc avec Binoche, je voulais Deneuve pour ce film"
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Publié le 26-02-2020 à 14h34 - Mis à jour le 26-02-2020 à 15h01
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En août 2019, toujours auréolé du prestige de la Palme d’or pour Une affaire de famille l’année précédente, Hirokazu Kore-eda faisait l’ouverture de la 76e Mostra de Venise avec La Vérité . Si le film a été très applaudi (sans néanmoins apparaître au palmarès, qui voyait triompher un certain Joker ), c’est notamment pour l’incroyable prestation de Catherine Deneuve, magistrale dans un rôle qui lui ressemble évidemment beaucoup. "Dès le départ, j’avais décidé que l’héroïne de cette histoire devait être une grande star, représentant l’histoire d’un cinéma national. Je n’aurais pas pu trouver une actrice de cette envergure au Japon et même ailleurs dans le monde. Alors qu’en France, ils ont Catherine Deneuve. Je me suis donc dit que je pouvais faire le film en France", confiait le cinéaste japonais dans un salon de l’hôtel Excelsior, sur le Lido de Venise.
Partout dans le monde en effet, l’aura Catherine Deneuve est mythique. Tout comme sa réputation de diva extravagante. "Tout le monde n’arrêtait pas de me dire que ça allait être très difficile, rigole Kore-eda. À cette époque, j’ai rencontré François Ozon au Japon, qui m’a dit : ‘Tu vas faire un film avec Catherine Deneuve. Tout le monde va te dire que ça va être dur. Mais ce n’est pas vrai. Elle va tout faire pour créer un grand film. Tu n’as donc pas à t’inquiéter.’ Il avait complètement raison. Par exemple, quand on revoyait les scènes sur le moniteur, Deneuve se fichait complètement de son apparence. Elle voulait juste que, tous les deux, nous puissions partager une vision et faire un bon film."
Pour lui composer sur mesure le rôle de cette grande star du cinéma français, Kore-eda a largement puisé dans la vie privée et dans la filmographie de Deneuve, avec un clin d’œil à Peau d’âne par exemple. "Ceux qui l’ont vu y penseront évidemment, reconnaît le réalisateur. Quand Deneuve a lu le scénario, elle n’a jamais demandé que l’on évite tel ou tel sujet. Car il était très clair pour elle que le personnage de Fabienne était complètement différent d’elle. Après, évidemment, les spectateurs pourront penser à sa relation avec sa sœur Françoise Dorléac, mais on peut aussi penser à Romy Schneider. Il y a des choses que j’ai intentionnellement laissées dans le flou."
Si c’est Deneuve qui a le premier rôle dans La Vérité, le projet est cependant né de la volonté de Juliette Binoche de tourner avec Kore-eda (tout comme, en 2007, la comédienne avait voulu travailler avec le Taïwanais Hou Hsiao-hsien dans Le Voyage du ballon rouge). "J’ai été très franc avec Binoche ; je lui ai dit que je voulais Catherine Deneuve dans le film. Elle a parfaitement compris cette décision et en a même été très heureuse car, avant ce film et je ne sais pas pourquoi, elles n’avaient jamais tourné ensemble…"
La famille, source d’inspiration intarissable
Avec La Vérité, Kore-eda se tourne pour la première fois ouvertement vers la comédie, mais le thème reste toujours le même : la famille. "Peut-être que je continue à faire ces films parce que je n’ai pas de réponse sur la famille, commente le cinéaste. Ceci dit, au fil du temps, la famille change. Et ma propre position dans la famille a changé. J’étais un fils, maintenant, je suis un père. Du coup, mon intérêt ne cesse d’évoluer, car les situations changent. C’est peut-être pour cela que je continue à explorer ce thème."
Dans les films japonais de Kore-eda, comme chez Ozu, la famille est indissociable du contexte social. C’est un peu moins le cas dans La Vérité, qui dresse le portrait d’une famille française qui manque peut-être d’amour et de franchise, mais pas d’argent… "Dans ce cas précis, je voulais creuser le plus possible la relation de Lumir avec sa mère. Il fallait que je rétrécisse au maximum le point de vue pour mettre le focus sur cela. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de tourner quasiment tout le film dans une maison, explique Kore-eda. Si jamais, un jour, je fais un autre film à l’étranger, j’aurai peut-être envie d’aborder des questions sociales, comme l’immigration par exemple. Mais ici, c’est cette relation qui m’intéressait. Par ailleurs, un film ne doit pas toujours décrire la société frontalement. On peut traiter de questions comme la pauvreté ou les classes sociales de façons très différentes. Ce film parle d’une mère et d’une fille qui cherchent à surmonter leur passé, en essayant, pour la première fois, de se comprendre et tenter de ressusciter une relation au point mort. Pour y parvenir, elles doivent accepter de coexister. Si l’on pense la coexistence comme le point de départ de la société, alors ce film peut être regardé comme observant une petite société en soi."
En tournant pendant six mois à Paris, Kore-eda, qui ne parle ni anglais, ni français, s’est frotté à une autre culture. "C’est toujours un challenge, une aventure de faire un film. Évidemment, cette fois, il y avait la barrière de la langue. Mais j’ai eu la chance d’avoir des acteurs formidables et une équipe technique très talentueuse, à commencer par le directeur-photo. Mon travail a donc été assez facile. Au moment du montage, j’ai eu quelques problèmes avec les dialogues, car j’ai besoin de savoir très précisément le sens de chaque mot. J’ai donc demandé à mon assistante de faire sous-titrer en japonais toutes les scènes que je montais, pour savoir exactement où couper. Mais avant le montage, je n’ai rencontré aucune difficulté avec la langue", sourit le cinéaste nippon.