Comment les cinémas belges tentent de limiter la casse
Les salles de cinéma belges ne rouvriront pas avant le 4 avril. Distributeurs et exploitants sont sous le choc. Quid des sorties des prochaines semaines, comme Un Fils ou Jumbo (photo)? Faut-il postposer toutes les sorties? Sortir les films en VOD?
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- Publié le 13-03-2020 à 17h35
- Mis à jour le 14-05-2020 à 11h06
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Les salles de cinéma belges ne rouvriront pas avant le 4 avril. Distributeurs et exploitants sont sous le choc. Quid des sorties des prochaines semaines, comme Un Fils ou Jumbo (photo)? Faut-il postposer toutes les sorties? Sortir les films en VOD?
Au lendemain de l’annonce par le gouvernement belge des mesures pour tenter de contenir l'épidémie du coronavirus, le petit monde de la distribution cinématographique s'est réveillé groggy vendredi… Tous les cinémas devront en effet rester fermés jusqu’au 3 avril minimum. « Les mesures sont drastiques, mais c’est pour faciliter le désengorgement du système médical. Dans l’Horeca, dans la culture, pour des petites pme comme la nôtre, c’est difficile mais, aujourd’hui, la santé publique doit être la priorité » , estime Stephan De Potter, directeur du distributeur belgo-néerlandais Cinéart.
Son collègue Thomas Verkaeren, manager général d'O’Brother, avoue avoir, lui aussi, été surpris par ces annonces. « En même temps, on s’y attendait, ajoute-t-il. On a bien vu le vent tourner avec ce qui se passe en Italie. Sauf que la décision du gouvernement belge hier a dépassé celle du gouvernement français. Du coup, on est confronté au fait que nos films ne sont pas en salles ici, mais bien en France. Même si lundi, après les élections municipales, de nouvelles mesures seront annoncées en France… »
Des salles fermées jusqu’au 4 avril au moins
Dès hier soir, avant-même la conférence de presse de la Première ministre Sophie Wilmès, Kinepolis avait annoncé la fermeture de toutes ses salles en Belgique, imité, dès vendredi matin, par UGC ou par les Grignoux. Tandis que les festivals de Luxembourg et de Mons étaient interrompus. Les festivals Offscreen, Millenium et ImageSanté à Liège sont quant à eux annulés ou reportés. Tout comme, probablement, le Bifff et… le Festival de Cannes. Ce qui serait une première depuis Mai 68 pour le plus prestigieux festival de cinéma au monde!
Patron du cinéma d’art et d’essai l’Aventure à Bruxelles, Jérôme Branders était toujours sous le choc vendredi. « Hier, on a eu une journée potable, même si on sentait bien que ça se calmait. La question que tout le monde se pose, c’est de savoir si on pourra rouvrir le 4 avril. Mais un cinéma, ce n’est pas un restaurant, on ne peut pas rouvrir du jour au lendemain... J’ai eu mon collègue du Vendôme au téléphone. On se pose tous beaucoup de questions. Il va falloir qu’on ait pas mal de réunions ensemble et avec les distributeurs… » , explique l’exploitant. Qui doit également gérer en urgence tous les questions administratives concernant son personnel, qui se retrouve sans travail pour au moins trois semaines…
De longues semaines de patience
Dans le milieu, peu de gens pensent en effet que les salles rouvriront dès le 4 avril. « J’ai le sentiment qu’on va avoir de longues semaines de patience devant nous. Mais honnêtement, je n’en sais rien. On attend les infos au quotidien… », explique un Stephan De Potter chez Cinéart. Le distributeur se désole surtout pour son film Un Fils, du Tunisien Mehdi M. Barsaoui avec Sami Bouajila, qui devait sortir mercredi prochain et qui est reporté sine die . « La campagne de promo était déjà réglée, déjà payée; elle tourne pour rien… »

Le problème est le même du côté d’O’Brother avec Jumbo de Zoé Wittock. Emmené par une magnifique Noémie Merlant, ce premier film très sensible qui devait, lui aussi, sortir le 18 mars. « C’est un gros souci, car toutes nos dépenses sont déjà engagées. Cela fait un mois que trois personnes travaillent à temps plein sur cette sortie. On a organisé dix avant-premières, jusqu’au Luxembourg… » Sans compter les frais de partenariats, d’affichages ou de sous-titrage, qui représentent à eux seuls 30000€. Dont une partie est, heureusement pour le distributeur, prise en charge par le Centre du cinéma de la Fédération Wallonie-Bruxelles puisqu’il s’agit d’un film belge.
Des dizaines de films en suspens
Pour tenter d’évaluer la situation, les distributeurs indépendants belges et européens — les majors comme Sony ou Disney sont en mode « No Comment », Disney se bornant à dire que les sorties de Mulan, The New Mutants et Antlers seront reportés — se sont réunis dès jeudi. Car la crise est évidemment à l'échelle européenne. Déjà fermés en Italie, en Pologne, en Slovaquie ou en Israël, les cinémas restent pour le moment ouvres aux Pays-Bas et en France. Même si, face à une fréquentation en berne, de nombreuses salles françaises et néerlandaises ont déjà annoncé leur fermeture.
« Pour les sorties du mois d’avril et du mois de mai, on va se poser la semaine prochaine pour y réfléchir et voir ce qui est le mieux avec les cinémas… », temporise Stephan De Potter. Trois semaines de sorties annulées, cela correspond en effet à une petite trentaine de films qui ne pourront pas sortir sur les écrans. « Les dates de sorties ne font pas l’objet de concertation entre distributeurs. Une fois les dates posées, normalement, ça se fait tout seul. Mais là, on parle de 30, 40, 50 ou même de 60 films si la crise dure. Pourront-ils être absorbés sur une période plus courte? C’est une vraie question… L’été est traditionnellement une période de disette, mais peut-on multiplier les sorties? » , s’interroge le patron de Cinéart.
Les distributeurs attendent en tout cas un soutien de la Fédération des Cinémas de Belgique, pour obtenir des garanties que les films postposés puissent bien être accueillis dans les salles plus tard dans l’année. « On n’a pas envie qu’ils nous disent: ‘Trop tard, le mal est fait.' Même si l’on a bien conscience que l’embouteillage risque d’être plus gros que prévu » , explique M. Verkaeren.
Des sorties au petit écran?
Parmi les autres solutions envisagées pour limiter la casse, il y a évidemment le cinéma à domicile. Les distributeurs sont déjà en négociations avec les plateformes de VOD pour éventuellement proposer certaines de leur sortie au petit écran. « Les tournages s’arrêtent aussi. C’est toute la chaîne cinéma qui est à l’arrêt partout , s’inquiète Stephan De Potter. Peut-on tout décaler de 1, 2 ou 3 mois? Doit-on sacrifier certains films pour ne pas impacter la chaîne? On discute donc avec les opérateurs VOD et de Pay TV… On a coupé toutes les formes de loisirs qui impliquent de sortir de chez soi. C’est émotionnellement très dur. Dans un climat aussi anxiogène, les gens ont besoin de soupapes de sécurité… »
Comme son confrère de chez Cinéart, Thomas Verkaeren est, lui aussi, en discussion avec des plateformes VOD. Mais plutôt que des acteurs comme Telenet ou UniversCiné, le distributeur cible de façon privilégiée des plateformes (plutôt flamandes) possédant leurs propres réseaux de salles de cinéma, comme Dalton, Lumière ou September. Lesquelles pourraient par exemple continuer à diffuser les films art et essai qui étaient à l’affiche avant la fermeture des salles, pour un prix équivalent à un ticket de cinéma (8-9€).
Pour les nouvelles sorties, le patron d’O’Brother est plus prudent. « Des sorties en VOD seront sans doute nécessaires pour éviter l’embouteillage dans les salles à la reprise… Mais on n’a pas envie de griller la politesse à l’UGC ou aux Grignoux, qui sont nos plus gros clients, explique-t-il. C’est un dilemme: doit-on privilégier notre survie ou celle des salles? »