Le regard bienveillant de Roy Andersson sur l'humanité
Dans son dernier film Pour l'éternité, disponible depuis ce mercredi en VOD, le grand cinéaste suédois Roy Andersson poursuit dans la lignée comico-philosophique de sa trilogie inaugurée avec Chansons du deuxième étage en 2000. Et c'est toujours aussi magique...
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- Publié le 18-03-2020 à 18h41
- Mis à jour le 18-03-2020 à 18h42
Dans son dernier film Pour l'éternité, disponible depuis ce mercredi en VOD, le grand cinéaste suédois Roy Andersson poursuit dans la lignée comico-philosophique de sa trilogie inaugurée avec Chansons du deuxième étage en 2000. Et c'est toujours aussi magique...
Le 8 avril, aurait dû sortir sur grand écran Pour l’éternité (About Endlessness), dernier volet de la quadrilogie sur l'absurdité de la condition humaine du Suédois Roy Andersson. Crise du coronavirus oblige, on ne pourra pas profiter sur grand écran de ce film magnifique, à nouveau composé de vignettes philosophico-comiques abordant les grandes questions existentielles. Par défaut, son distributeur belge Lumière a choisi de le rendre accessible dès ce mercredi aux spectateurs sur sa plateforme VOD.
Dévoilé en septembre 2019 à la Mostra de Venise, Pour l’éternité a offert à Roy Andersson le Lion d’argent du meilleur réalisateur, cinq ans après son Lion d’or pour Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence. Quelques jours avant l’annonce du palmarès, on rencontrait un cinéaste de 76 ans affaibli, en chaise roulante, mais toujours aussi lucide sur ses contemporains. Très souriant, le vieil homme se montrait cependant assez avare en clés de lecture sur son oeuvre…

Pour l'éternité rejoint-il votre trilogie précédente, inaugurée en 2000 avec Chansons du deuxième étage, ou est-il à part?
Au départ, je pensais que ce serait la quatrième partie de la trilogie, si je puis dire. Mais je pense qu’il y aura également un autre film. Cela dépendra de la façon dont celui-ci fonctionne. Mais jusqu’à présent, les réactions ont été bonnes. Je suis donc de bonne humeur.
Par le passé, vous avez tourné beaucoup de publicités. Cela vous a-t-il aidé à mettre au point la narration si particulière de vos films, faite de petites histoires très courtes?
Même dans la pub, j’ai toujours eu les mains libres. Je pouvais faire ce que je voulais. J’ai fait quelques très bonnes publicités, aussi bonnes que mes films en fait. Quand je travaille, je ne fais pas de différence entre les pubs ou les longs métrages. J’essaye que ce soit le meilleur possible. Même si, OK, parfois je n’aime pas avoir le slogan final, parce que les publicitaires ont parfois très mauvais goût...
Comment compose-t-on un tel film, fait de petites séquences éparses? Comme un morceau de musique symphonique?
Je n’ai jamais pas en tête la structure finale. Quasiment toutes les différentes scènes sont prêtes mais l’ordre n’est pas décidé encore. J’ai toujours des idées, mais je ne sais jamais si ce sera pour un film, pour un roman ou pour une pièce. J’ai beaucoup de matériel mais sans ordre prédéfini. Je trouve celui-ci petit à petit, par essai et erreur. Je marche beaucoup à l’intuition.
Comment avez-vous décidé que la scène de la voiture en panne serait la dernière du film?
En fait, cela ne devait pas être la dernière scène du film. Mais on a voulu laisser le public sur un hasard de la vie, celui d’une voiture en panne...
Par rapport à vos autres films, les sketches sont très brefs, presque comme une collection de haïkus…
Quand je faisais des demandes de financement pour le film, je le définissais comme un film-poème sur l’existence.
Avez-vous un petit carnet dans lequel vous notez des idées quand vous voyez ou lisez quelque chose?
J’ai plutôt un carnet de dessins. Je dessine quasiment chaque scène. Il y a deux scènes que j’aime beaucoup dans le film. Celle du père avec sa fille, se rendant à une fête d’anniversaire, je l'ai vraiment vue, un jour de pluie, à Stockholm. L’autre est celle avec cette jeune fille, stagiaire dans un salon de coiffure. Je l'ai vue dehors, sur le trottoir, en train d’arroser les feuilles d’une plante avec un vaporisateur, comme son patron le lui avait demandé… À un moment, un jeune homme est passé, s’est arrêté et n’a pu s’empêcher de la regarder. Et dans ma tête, j’ai entendu une voix off dire: « J’ai vu un jeune homme qui n’a pas encore trouvé l’amour. »
Pourquoi, justement, avoir choisi de structurer ces sketches autour d’une voix off commençant toujours par « J’ai vu… »?
Il y a beaucoup de sources d’inspiration pour cela. Une des plus importantes est Hiroshima mon amour (d’Alain Resnais en 1959, NdlR), où il y a aussi une narratrice. Une autre source d’inspiration importante, ce sont les 1001 Nuits et Shéhérazade. Mon idée était de faire un film que les gens ne voudraient pas que j’arrête...
Qui est cette voix off féminine pour vous? Un ange? Dieu?
Mon idée était qu’il s’agissait d’une sorte de fée, plus qu’un ange.

Vos personnages semblent souvent incapables de voir la beauté, de la neige qui tombe ou d’un paysage par exemple. Nous sommes parfois trop obsédés par nos problèmes quotidiens pour voir la beauté de la vie?
Oui. Une averse de neige est magnifique. Mais les gens qui sont trop occupés ne la voient même pas…
Comme toujours, le film est entièrement tourné en studios. Pourquoi est-ce si important? Et comment concevez-vous vos décors?
Je tourne en studios car, pour moi, c’est très important de pouvoir tout contrôler. Pour la création des décors, je suis très inspiré par la Nouvelle Objectivité en peinture (un mouvement artistique allemand d'avant-garde des années 1930, NdlR). Ces toiles sont très très claires, sans aucune ombre, sans possibilité de se cacher dans l’ombre. Les personnages sont toujours dans la lumière. Pas une lumière aussi forte que celle que j’utilise, mais on les sent vraiment nus, sans défense, vulnérables.
Vos personnages sont souvent très tristes. Cela reflète-t-il votre vision du monde et de l’existence?
La vie est pleine de situations intéressantes. Ce qui est significatif de mon travail, c'est que je raconte des scènes très banales, sans importance, mais en les décrivant de façon très minutieuse. L’identité de mes films, c’est cette précision.
Vos personnages ont le visage et la peau toujours très blancs. Pourquoi?
C’est pour les rendre universels. Je me suis inspiré du clown qui, au cirque, représente l’humanité. Et il est blanc. Tandis que dans le théâtre No japonais, on joue Shakespeare avec des masques blancs. Ce qui décuple la puissance des répliques.
Dans le film, vous mettez en scène un prêtre désespéré parce qu’il a perdu la foi, se rendant chez un psychologue qui n’a pas l’air de croire beaucoup plus en son métier... La religion ou la psychologie ne nous sont, selon vous, d’aucun secours pour affronter l’existence?
Je dois dire que je crois au moins un petit peu dans la psychologie, évidemment… Ce qui me concerne plus, c'est la vulnérabilité humaine, sur laquelle je travaille beaucoup. Je crois qu'essayer d’éviter l’humiliation des gens, c’est peut-être une forme de religion. Et pour moi, c’est assez. Il n’y a pas nécessairement besoin de croire pour prendre soin des autres êtres humains. C’est porteur d’espoir. Il n'y a pas besoin d’avoir l’aide de Dieu pour s'occuper de soi, de ses amis, de chacun dans la société.
Que représente pour vous l’infinitude du titre original de votre film?
Pour le jeune garçon qui parle à sa petite amie dans le film, l’infinitude est liée à l’énergie, qui ne se perd jamais. En physique, la conservation de l’énergie est le premier principe de la thermodynamique.
