Noémie Merlant: "Je trouve très adulte de suivre son désir"
Révélée par le Portrait de la jeune fille en feu, Noémie Merlant est l’affiche de Jumbo. Un premier film belge disponible en "Premium VOD". L’actrice revient également sur le scandale Polanski aux César.
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Publié le 23-03-2020 à 08h29 - Mis à jour le 23-03-2020 à 10h00
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Révélée par le Portrait de la jeune fille en feu, Noémie Merlant est l’affiche de Jumbo. Un premier film belge disponible en "Premium VOD". L’actrice revient également sur le scandale Polanski aux César.
Dans Jumbo, Noémie Merlant incarne la fille de l’excentrique Emmanuelle Bercot, une jeune femme maladivement timide tombant amoureuse, dans le parc d’attractions où elle travaille, d’un manège. Une romance hors norme (inspirée de l’histoire d’Erika Eiffel, qui a épousé… la Tour Eiffel) imaginée par Zoé Wittock, jeune cinéaste belge qui signe un premier long métrage très réussi sur un sujet inattendu, l’objectophilie.
Par son magnifique travail sur l’image, le film aurait mérité une vraie sortie sur grand écran. Mais, crise du coronavirus oblige, Jumbo est, avec Pour l’éternité du Suédois Roy Andersson, l’un des premiers films à sortir en ligne dans le cadre du nouveau service de “Premium VOD”, imaginé par les distributeurs indépendants et les plateformes de vidéo à la demande belges (VOO, Proximus, UniversCiné, Lumière et Dalton) pour faire face à la fermeture des salles de cinéma.
À 31 ans, Noémie Merlant est désormais une actrice qui compte, grâce à son rôle face à Adèle Haenel dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (cf. ci-contre). Avant cela, elle avait tourné dans Jumbo, premier film surprenant de la Belge Zoé Wittock, disponible dès ce lundi en "Premium VOD". Où elle campe Jeanne, une fille qui, dans un parc d’attractions, tombe amoureuse d’un… manège ! Nous avons rencontré la comédienne le 11 mars dernier, de passage à Bruxelles juste avant que ne se durcissent les mesures de confinement…

Sur papier, l’idée semble un peu folle. Qu’est-ce qui vous a convaincue d’interpréter ce personnage?
Ce qui m’a convaincue, c’est cette histoire d’amour hors normes, peu racontée. Surtout de ce point de vue-là, en ne regardant pas cette fille comme une bête curieuse, avec un côté très réaliste, trash, cérébral. Non. Ici, il y a un truc très puissant parce qu’on se met dans sa tête, dans sa peau. Et moi, je ressentais des choses très fortes dans cette histoire d’amour, mais aussi dans l’histoire avec sa mère. Comment on deale avec ses propres désirs, comment on les suit et comment on les fait accepter à ses parents, quand on n’est pas ce qu’ils attendaient de nous. Je trouve qu’il est beau ce personnage. Il est moderne. Même si elle est très introvertie, cette fille est forte, dans le sens où elle suit ses désirs jusqu’au bout. Elle amène très rapidement sa mère à la rencontre de Jumbo, elle essaye de lui faire comprendre, par l’émotion, ce qu’elle peut ressentir.
Votre personnage est une femme-enfant, qui semble avoir peur de grandir, avoir peur des hommes…
Moi, je l’ai vue comme une fille qui ne veut pas grandir, mais pas de façon maladive. Car qu’est-ce que la maladie, la folie ? C’est juste un autre point de vue. Est-ce qu’il ne peut pas paraître fou également de rentrer dans un moule de la vie adulte que sa mère a pour elle ? Jeanne a quelque chose de très enfantin, mais je trouve aussi très adulte d’avoir un désir, de le suivre et d’amener les gens à l’accepter. Je ne sais pas si c’est de la naïveté ou, au contraire, une extrême maturité, mais au final on s’en fiche un peu. Et c’est ça qui est beau. Apparemment, pour beaucoup d’objectophiles, c’est soit lié à une forme d’autisme ou à un traumatisme dans l’enfance, mais pour d’autres rien du tout. Quant à son rapport aux hommes, je me suis juste racontée qu’elle avait une vision différente des choses, qu’elle était pas à l’aise avec les hommes.
Vous êtes-vous documentée sur l’objectophilie pour préparer le rôle?
J’ai regardé le documentaire sur Erika Eiffel. Mais il existe d’autres femmes, dont une qui est amoureuse d’un manège d’ailleurs. C’est très intéressant. Et puis j’ai beaucoup parlé avec Zoé, qui a rencontré Erika. Apparemment, il y a souvent chez les objectophiles une autre manière de voir les choses, le monde. Ils ont une autre sensibilité aux couleurs, aux mouvements, à l’atmosphère. Je trouvais intéressant d’intégrer cela à mon personnage. D’avoir des mouvements différents, de ressentir les gens, le monde et les objets d’une autre manière. On a beaucoup travaillé sur cette gestuelle, en même temps assez lunaire et très incarnée, très ancrée dans son rapport aux matières, aux odeurs. Elle a un corps très particulier quand elle est en face d’humains, très fermé, tétanisé, car elle ne sait pas réagir face aux désirs ou aux attentes des autres. Quand elle est seule ou avec Jumbo, elle est beaucoup plus large, en vie, joyeuse… Dans ce film, ce qui fait du bien, c’est de voir comment on est épanoui, heureux quand on suit ses désirs. Mais aussi de voir cette famille soudée à la fin. Ce n’est pas le chemin tout tracé dans notre société. Ça déborde, ça dévie. C’est étrange, bizarre. Mais c’est très beau.
À quoi pense-t-on quand, sur le plateau, il s’agit de jouer cette sensualité différente?
On ne réfléchit pas plus que ça. On projette ce qu’on ressent quand on est avec quelqu’un, quand on tombe amoureux. Après, quand elle est avec Jumbo, c’est aussi un dialogue avec elle-même. Et ça, je crois qu’on connaît tous un peu ça. Si on parle à Dieu ou qu’on fait de la méditation par exemple, qui peut provoquer des moments de plénitude extrême. Je me suis aussi nourrie des rapports à ces objets qui nous procurent beaucoup d’émotions, car ils renferment des souvenirs. Je suis partie de choses concrètes, réelles, qui existent.
Avec notre dépendance aux téléphones portables, ne sommes-nous pas tous un peu objectophiles?
Ben oui, c’est ce que je pense. Mais aussi quand on est petit avec nos peluches. On a un rapport aux objets très particulier.
Avant d’être actrice, vous avez été mannequin. Le regard porté sur vous était-il très différent à l’époque?
Oui. J’ai très mal vécu mes années de mannequinat. Il arrivait que je tombe sur des photographes qui ne me voyaient pas comme un objet, mais c’est extrêmement rare. On est très jeune et on est vraiment prise pour un objet. Même pas un objet, de la viande ! J’ai mis pas mal de temps à me sortir de ça. Et encore aujourd’hui, j’ai des relents de cela, une déformation professionnelle, ce truc où on doit se taire, ne pas faire de vague, être jolie, faire attention à ses mensurations. Ça reste… Dans le métier d’actrice, j’ai rencontré de plus en plus d’hommes et de femmes qui me demandaient autre chose, d’être une actrice et donc de créer, de m’exprimer.

Noémie Merlant, une jeune actrice en feu
Si l’on ne parle plus aujourd’hui que du coronavirus, il y a quelques semaines, c’est l’affaire Polanski qui était sur toutes les lèvres. Le 28 février dernier, Noémie Merlant était, comme Adèle Haenel, nommée au César de la meilleure actrice pour Portrait de la jeune fille en feu . Et comme Adèle Haenel et leur réalisatrice Céline Sciamma, la jeune comédienne a quitté la salle au moment de l’annonce du César du meilleur réalisateur remis à Roman Polanski pour J’accuse .
Discrète, Noémie Merlant n’a pas envie de polémiquer. Déjà nommée au César du meilleur espoir féminin en 2017 pour Le Ciel attendra , elle préfère voir le côté positif. "On parle beaucoup de la division. Mais il y a aussi beaucoup de soutien, de dialogue. Dans le cercle familial, entre amis, au travail ou aussi dans la profession. Les gens qui n’ont pas forcément le même avis, mais il y a un dialogue qui se crée en douceur. Il faut du temps pour comprendre ce qui se passe, pour dialoguer avec soi-même et avec les autres. J’ai l’impression qu’il y a aussi beaucoup de soutien d’hommes", explique Noémie Merlant. Consciente que Portrait de la jeune fille en feuest devenu un symbole féministe, d’ailleurs récupéré lors de la marche des femmes à Paris le 8 mars. "Le monde change, évolue. Des gens prennent conscience de choses seulement maintenant. Le monde a son rythme. Et le cinéma a son rythme à lui. Cela crée du mouvement et je trouve ça bien quand il y a du mouvement."
Un rôle pas comme les autres
Dans Portrait de la jeune fille en feu, Merlant interprète une jeune artiste peintre chargée, en 1710, de réaliser le portrait d’une jeune noble recluse sur une île bretonne, dont elle tombe amoureuse. Un rôle marquant, brûlant, très différent. Et ce, grâce au regard de Céline Sciamma sur ses deux actrices. "La vision de Céline impacte tout : que ce soit la préparation, la façon de travailler avec son équipe et même l’accompagnement après. Elle a vraiment le souci que chacun, chacune ait un espace pour s’exprimer. Et qu’on n’ait pas besoin d’aller dans l’explosion des sentiments, qu’on soit dans la retenue. Moi, jusqu’à présent, je n’étais jamais vraiment allée dans la retenue. Du coup, ça va chercher en moi d’autres choses, qui sont peut-être, au final, plus proches de moi. En me montrant différemment, elle a peut-être montré chez moi d’autres émotions…"
Le succès critique du film depuis sa présentation à Cannes et la nomination au César ont évidemment changé du jour au lendemain le statut de la jeune actrice. "Je le sens clairement. Je faisais déjà très attention mais quand on a moins de choix, forcément, ça restreint. Plus on a d’opportunité, plus on a le luxe de vraiment choisir. En tant qu’artiste, un acteur ne crée pas seulement dans les personnages qu’il interprète, mais aussi dans sa carrière. Par ses choix, il raconte quelque chose, estime Noémie Merlant. J’aime bien voyager, d ans le sens esthétique, artistique, peu importe que ce soit joyeux ou plus engagé. Je suis très vigilante sur le personnage : est-il sujet ou objet ? Mais aussi à la vision du réalisateur, à son rapport au travail, aux gens dont il s’entoure. Et puis j’ai envie de faire des choses modernes, même dans les films d’époque, que j’adore. Moderne dans le sens où j’ai l’impression qu’il y a du mouvement. J’aime quand il y a des nouveaux imaginaires, de nouvelles expressions, un nouveau regard."
