Le cinéma belge attend sa nouvelle séance
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Publié le 22-04-2020 à 08h28 - Mis à jour le 04-05-2020 à 13h48
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Catastrophique", "impact frontal", "année noire"… Comme dans tous les pays, le cinéma belge est frappé par la crise du Covid-19 : tournages interrompus, sorties reportées sine die, festivals annulés, salles fermées. Malgré le soutien des pouvoirs publics, l’inquiétude reste grande dans ce secteur dynamique, mais en flux tendus et en manque structurel de liquidités.
Production : six mois d’impact
Côté francophone, on recense quelque 85 films à l’arrêt (dont quinze tournages de longs métrages arrêtés et une vingtaine reportés). La situation "n’est pas rose", nous déclare Jean-Yves Roubin, président de l’Union des producteurs de films francophones (UPFF), qui représente environ 80 % de la production d’initiative belge francophone, en fiction (films et séries).
Le clap de reprise ne se donnera pas du jour au lendemain. "On ne relance pas la machine comme ça, nous dit M. Roubin. Il faudra que les agendas des techniciens et des comédiens coïncident, que les décors et lieux de tournage soient disponibles, les autorisations, etc. Sans savoir quelles seront les conditions sanitaires imposées." L’UPFF estime que l’impact de l’arrêt se calculera au minimum sur six mois. Pour ses 42 membres, le coût jusqu’en août serait de près de 5 millions d’euros. Ce calcul porte sur les seuls frais généraux. Derrière se cache la charpente qui tient "toute l’économie du secteur" rappelle Jean-Yves Roubin, dont les emplois de plusieurs centaines de techniciens et comédiens belges et de nombreux prestataires de services, privés de tournage.
Le tax shelter : la véritable inquiétude
"La véritable inquiétude, c’est le tax shelter", disent en chœur nos interlocuteurs dans le secteur de la production. Le tax shelter, "principale source de financement de l’activité audiovisuelle depuis plus de 15 ans", représente jusqu’à 30 % du financement des films, rappelle une note de l’UPFF.
Or ce mécanisme qui permet un financement de la création en contrepartie d’une ristourne fiscale repose sur les bénéfices des entreprises. Au regard de la récession économique qui s’annonce, "les levées de fonds vont être impactées sur l’ensemble de l’exercice 2020, mais probablement sur l’exercice 2021 aussi", nous dit Isabelle Molhant, présidente de Casa Kafka Pictures, société de levée de fonds tax shelter.
Producteurs et intermédiaires du tax shelter ont relevé une série de mesures qui pourraient accompagner la reprise d’activité du secteur.
Distribution : le maillon faible
Le distributeur achète un film à un producteur pour le proposer aux salles et aux spectateurs. Il parie sur les recettes potentielles. C’est un maillon important mais faible : "Si la dimension risquée du métier n’est pas neuve", le niveau de fragilité du secteur "atteint un degré effrayant suite à la crise", avance Christine Eloy, directrice générale d’Europa Distribution, réseau européen des distributeurs indépendants.
"C’est une année où on perdra de l’argent", confirme Stephan de Potter, co-CEO de Cinéart, distributeur indépendant belge. "Les recettes en salles représentent 50 % de notre chiffre d’affaires. Sans la salle, nous perdons aussi sur les droits annexes (DVD, VoD, droits télés)" conditionnés à l’exploitation en salles. Sur les films dont la sortie était prévue au printemps, les distributeurs perdent l’investissement du minimum garanti (une avance garantie sur les recettes, non remboursable) et les frais de sortie. "Sur un mois de crise, nos membres ont perdu un minimum de 30 % de leur chiffre d’affaires", évalue Christine Eloy.
Le chômage économique dans le secteur atteint 70 et 80 %, selon un sondage d’Europa Distribution auprès de ses 120 membres. Chez O’Brother, distributeur liégeois, accolé à la maison de production Versus, Thomas Verkaeren, general manager, estime l’impact sur un à deux ans. Il faudra réalimenter le catalogue de films : "Tout le monde est à tâtons dans le noir. Avec l’annulation de festivals comme Cannes, sans certitude de rentrées financières et sans savoir quand et sous quelles conditions les salles vont rouvrir, on ne va pas acheter de nouveaux films."
Quant à la VoD, même en version Premium, son apport est "anecdotique" selon Thomas Verkaeren. Sans se prononcer sur les chiffres, Stephan de Potter constate qu’"on ne ressent pas encore de potentiel de ce côté-là". Confirmation au niveau européen : "C’est microscopique", analyse Christine Eloy. À quelque chose malheur est bon : "Cela démontre que la salle reste nécessaire", se réjouit Thomas Verkaeren.
Les salles : l’incertitude
La salle, tout le monde aspire à sa réouverture. Toute la question est de savoir quand. Beaucoup espèrent que ce sera possible en juillet.
Quelle que soit la date de réouverture des salles, celle-ci pourrait être paradoxalement "plus risquée financièrement" pour certains exploitants, avertit Catherine Lemaire, programmatrice des Grignoux, à Liège. "On part sur une estimation théorique d’un taux d’occupation des salles de 30 % afin de respecter les mesures de distanciation. Or on ne remplit pas les salles à toutes les séances : l’équilibre se fait sur d’autres séances plus remplies. Si la jauge est réduite, certains exploitants souffriront."
Une réouverture à l’été - période traditionnellement plus creuse pour les salles - renforcerait ce risque. "Il faudra peut-être envisager une aide financière pour certaines salles", estime Catherine Lemaire. D’autant plus que les exploitants devront peut-être engager des frais supplémentaires (désinfection, vigiles, masques pour les spectateurs).
Autre inconnue : y aura-t-il des films porteurs ? ou assez de films ? certains seront-ils retenus dans la perspective d’un festival (celui de Cannes pourrait encore se tenir à l’automne) ? Les avis divergent. "On joue au devin", résume Nicolas Gilson.
Mais "il vaut mieux ouvrir dans des conditions précaires que pas du tout", conclut Catherine Lemaire. "Il faut que les gens reprennent le chemin des salles et de la culture en général." Sur ce point, tout le monde est d’accord.
Des propositions
Le cinéma belge a activé ses réseaux cette semaine. Face à une situation inédite, tout le monde se parle dans les deux langues, entre producteurs, fonds et administrations des Régions et Communautés, dans un secteur où le dialogue prévaut. Objectif : réussir le déconfinement le plus vite possible.
- Salles. Pour plaider leur cause commune - et celle des quelque 1200 emplois qu’elles représentent, l'Association belge des Distributeurs de Films (ABDF) et la Fédération des Cinémas de Belgique (FCB) ont adressé une lettre conjointe aux ministres compétents et à la task force Covid-19 dans laquelle leurs membres font part de leur souhait de rouvrir les salles au plus vite, dans le respect des mesures de distanciation (en fermant une rangée sur deux ou en laissant une place vide entre les spectateurs, par exemple). La ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles et les salles Art et Essai évaluent ensemble ces mesures.
- Tax Shelter. A la veille de la première commission parlementaire Finances et budget du Parlement depuis l’entrée en vigueur du confinement, les unions de producteurs francophones (UPFF) et flamands (VOFTP) et les principales sociétés de levées de fonds tax shelter ont soumis une série de recommandations afin d’assouplir les règles d’application du tax shelter, principal mécanisme de financement du cinéma belge.
- Distribution. Au niveau européen, Europa Distribution a aussi produit un mémorandum plaidant pour une série de mesures d’accompagnement du secteur de la distribution - qui rejoignent en partie les mesures d’urgence adoptées par la Fédération Wallonie-Bruxelles.