La culture au temps du corona : Le Tao-Tö king par Fabrizio Rongione
- Publié le 08-05-2020 à 10h28
- Mis à jour le 08-05-2020 à 10h29
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Des artistes, nos journalistes... partagent une sidération artistique, une épiphanie culturelle, une révélation qui les a marqués, touchés au cœur.
Voici la contribution de Fabrizio Rongione, comédien tout-terrain passant d u cinéma ("Gamin au vélo", " Deux jours, une nuit"…) à la télévision ("Un village français") ou encore à la scène, dernièrement avec "Homo Sapiens", écrit avec Samuel Tilman. Un jour, je suis tombé en dépression… Comme ça, du jour au lendemain. J’avais passé plusieurs heures devant mon ordinateur à lire un scénario qui ne me plaisait pas. En me levant, mes jambes ne me supportaient plus… Littéralement. C’est à peine si j’arrivais à rester debout. Mes genoux étaient devenus si fragiles qu’à tout moment j’avais l’impression de passer à travers.
Pendant un an, j’ai fait le tour des médecins de Bruxelles qui, à chaque fois, me certifiaient par A plus B et toutes les lettres de l’alphabet que j’étais en parfaite santé. Alors, sur les conseils de mon médecin de famille, j’ai commencé une psychanalyse… Sans vraiment y croire. Après tout, c’est aux genoux que j’avais mal, pas à la tête.
Pourtant, j’ai guéri. Couché sur un divan, j’ai parlé de tout et de rien… Surtout de rien, pendant 13 ans. Je ne me censurais pas. Je démarrais et n’étais plus qu’un flot de parole dont le sens m’échappait. Sans trop savoir pourquoi, je sentais que ce vide de sens était le chemin vers la guérison. En fait, j’ai assez vite compris que j’avais construit des certitudes que j’ai dû apprendre à déconstruire, à balayer. Vivre l’instant présent était devenu mon credo, la seule bouée à laquelle je pouvais me raccrocher.
C’est très dur de ne pas penser au passé. Mais, surtout, comment ne pas se projeter dans le futur… Les rêves sont comme des bourreaux aux mains soyeuses : ils te tirent loin, trop loin de la réalité. C’est alors que la dépression te rattrape. Elle fonctionne comme un ami. Paradoxalement, elle t’oblige à t’ancrer dans ce monde qui est tien. J’ai dû apprendre à voir ce monde et ne rien espérer. À me laisser porter par lui.
Un livre m’a aidé dans ce chemin. Il m’aide encore aujourd’hui. Je m’y plonge régulièrement. Il m’a accompagné durant de longs mois après l’élection de Trump aux États-Unis. Oui, l’arrivée de ce "monstre" qui m’obligeait à voir le futur non plus avec sérénité mais avec appréhension.
Ce livre c’est le Tao-Tö king de Lao-tseu. Je l’ai découvert par hasard : il était dans ma bibliothèque. Je ne sais même pas ce qu’il y faisait. Qui l’y avait mis ?
Lao-tseu serait né au milieu du VIe siècle avant Jésus-Christ. Aujourd’hui, certains historiens pensent que c’est un personnage fictif, un agrégat de plusieurs personnes ayant réellement existé. Qu’est-ce que le Tao ? C’est un terme de philosophie chinoise qui signifie : "être suprême", "voie", "chemin". C’est "la mère du monde", "l’essence même de la réalité qui est par nature ineffable et indescriptible". Je ne sais rien, je ne suis rien et je l’accepte… Le non-être, le vide contre le plein.
"Le Tao lui-même n’agit pas, et pourtant tout se fait par lui. Si princes et seigneurs pouvaient y adhérer, tous les êtres du monde se transformeraient d’eux-mêmes. Sans franchir sa porte, on connaît l’univers. Sans regarder par sa fenêtre, on aperçoit la voie du ciel. Plus on va loin, moins on se connaît. Le saint connaît sans voyager, comprend sans regarder, accomplit sans agir."
Un jour, je mourrai. Peut-être que je ne laisserai aucune trace, peut-être que l’on m’oubliera… J’aurai simplement cherché à mieux vivre ma vie dans le respect du vivant mais surtout dans l’oubli de moi-même… Car seule l’empathie sauvera le monde.