"Un stress s’est installé": ce que la crise révèle pour les métiers du cinéma
La situation est sans précédent pour les "invisibles" du secteur. Ce vendredi, la commission des Affaires sociales de la Chambre doit entendre vingt représentants des secteurs culturel, artistique et événementiel. Nous avons de notre côté sollicité des "invisibles" du cinéma, qui pratiquent les métiers de l’image et du son, de la postproduction ou de la régie. Mathilde Bernet, Manu Dacosse, Guilhem Donzel, Samuel Henry, Axel Jadin, Hélène Karenzo, Alexandra Laffin, Valène Leroy, Sophie Vercruysse… Vous ignorez ces noms, mais vous les avez vus aux génériques de films de Joachim Lafosse, Fabrice Du Welz, François Damiens, Dany Boon… L’une ou l’autre a été primé.
Publié le 29-05-2020 à 11h19
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La situation est sans précédent pour les "invisibles" du secteur.
Ce vendredi, la commission des Affaires sociales de la Chambre doit entendre vingt représentants des secteurs culturel, artistique et événementiel. Nous avons de notre côté sollicité des "invisibles" du cinéma, qui pratiquent les métiers de l’image et du son, de la postproduction ou de la régie. Mathilde Bernet, Manu Dacosse, Guilhem Donzel, Samuel Henry, Axel Jadin, Hélène Karenzo, Alexandra Laffin, Valène Leroy, Sophie Vercruysse… Vous ignorez ces noms, mais vous les avez vus aux génériques de films de Joachim Lafosse, Fabrice Du Welz, François Damiens, Dany Boon… L’une ou l’autre a été primé.
Tous sont en arrêt forcé depuis mi-mars. Pour eux, malgré les mesures d’exception, malgré le droit passerelle, malgré le pseudo-statut dit "d’artiste", le solde des dix dernières semaines est négatif. Dans l’intervalle, "il faut bien manger et payer les factures".
Une mesure d’urgence à prendre
La moitié des répondants d’une étude de l’association des métiers du cinéma et de l’audiovisuel Hors Champ n’a droit à aucune allocation ou mesure compensatoire. "La crise du Covid agit comme un révélateur" résument Samuel Henry et Axel Jadin - tandem de régisseurs (les couteaux suisses de la logistique d’un tournage). Pour eux, il faut reconnaître le droit au chômage de tous les travailleurs du secteur. "C’est une mesure d’urgence qu’il faut avoir le courage de prendre, avant tout autre, pour ensuite mesurer sereinement ce qu’on fait."
Guilhem Donzel, ingénieur du son avec douze ans d’activité, a quitté le statut d’artiste en 2019 pour passer en société. La crise du Covid-19 plombe sa première année d’activité. "Un stress s’est installé : il faut que l’argent rentre" pour faire tourner sa société. Son dernier film remonte à fin décembre. Lui s’estime relativement chanceux : "Je bénéficie du droit passerelle pendant 4 mois. Cela permet de couvrir les dépenses liées à la société."
Même situation pour Manu Dacosse, directeur de la photographie. Lui aussi bénéficie du droit passerelle. "C’est rassurant. Mais la situation est stressante, car on ne sait pas quand ça va reprendre." Fin juillet, sauf rallonge, la mesure du droit passerelle cesse. "Si je ne travaille pas d’ici là, c’est la faillite", constate Guilhem Donzel. Il connaît "une assistante caméra qui bosse non-stop mais n’a droit à rien" : "je suis sidéré que des personnes qui travaillent autant ne bénéficient d’aucune protection".
Statut plus adapté
Mathilde Bernet est monteuse. Elle a œuvré en télévision à partir de 2011 et s’est réorientée vers le cinéma en 2015, en reprenant des études à l’Insas. Cette interruption lui fait perdre ses droits au "statut" et au chômage : le fameux "statut", "je ne pourrai jamais y avoir accès". Hélène Karenzo, assistante de réalisation avec déjà un beau parcours (elle a officié sur L’Économie du couple ou le court métrage candidat aux Oscars Une sœur), espérait le décrocher en octobre. "Avec la crise, je ne rentrerai pas dans les critères."
Pour y accéder, il faut l’équivalent d’un trois quart-temps, 312 jours en 21 mois. Personne n’enchaîne autant de jours de tournage. "Je dis à mes étudiants de bosser un an dans un fast-food pour obtenir leur droit chômage avant de se lancer", confie un "ancien".
Le "statut" ne correspond pas aux réalités. "Sur papier, on travaille 7,6 heures par jour. En tournage, c’est souvent 13 heures", voire 17. "Il faut se battre pour que ces heures soient payées", et celles-ci ne sont pas valorisées dans le calcul de l’Onem.
Mathilde Bernet redoute que l’inactivité se prolonge au-delà de six mois. "C’est vertigineux et angoissant, confie-t-elle. Je me sens ne pas exister dans cette société. C’est très violent. Par contre, j’ai reçu ma déclaration d’impôt…" Même les plus anciens vivent des situations précaires ou injustes. Valène Leroy touche des indemnités minima qui correspondent au début de sa carrière. Pour les faire réévaluer, "on me dit que je dois me désinscrire du chômage pendant deux ans et refaire une demande après…"
Spécificités ignorées
Les spécificités des métiers sont méconnues. "L’Onem demande de démontrer l’envoi des CV et de démarches auprès de producteurs. Le secteur ne fonctionne pas comme ça : on dépend des projets qui se montent."
Même dans les syndicats, les référents ne maîtrisent pas les spécificités. "On nous renvoie l’image que le ‘statut’ est un ‘cadeau’ en ignorant qu’un jour de travail dans la filière, c’est beaucoup de temps investi en amont et après." "Beaucoup de jeunes intègrent que le statut est inaccessible. Ils cumulent des jobs alimentaires dans l’Horeca. Mais même cela est impossible pour l’instant", relève Samuel Henry. "Une génération va trinquer", redoute Guilhem Donzel.