"Lynn + Lucy": le dernier clou du cercueil de l’unworking class

Un premier film de Fyzal Boulifa qui revisite le drame social anglais à l’aune d’une amitié fragilisée par la rumeur.

"Lynn + Lucy": le dernier clou du cercueil de l’unworking class

Un premier film de Fyzal Boulifa qui revisite le drame social anglais à l’aune d’une amitié fragilisée par la rumeur.

Lynn + Lucy. Lynn et Lucy. Unies pour la vie ? On le croirait. Elles se connaissent depuis la prime adolescence. Au baptême d’Harrison, son fils, le clin d’œil que lance Lucy (Nichola Burley) à Lynn (Roxanne Scrimshaw) confirmerait presque cette vieille rumeur qui les prétend plus qu’amies. Ce gossip-là, elles n’en ont cure.

Soudées, elles se soutiennent face à leur compagnon : le colérique Clark (Samson Cox-Vinell) de Lucy, le résigné Paul (Shaq B. Grant). La vie coule, presque paisible, dans cette Angleterre qui n’est même plus ouvrière : juste une unworking class oubliée. À défaut de réussite matérielle, Lynn pense s’être accomplie dans son rôle de mère : maison tenue, ado bien éduquée. Lucy redoute au contraire que sa maternité sonne le glas de sa liberté.

Deux autres changements bousculent ce précaire équilibre : Lynn tente sa chance dans le salon de coiffure de Janelle (Jennifer Lee-Moon), autre ancienne du lycée. Les quelques échelons sociaux qu’elle a gravis sont déjà un fossé. Le "Tu n’as pas changé" que Janelle adresse à Lynn, qui serait compliment ailleurs, résonne comme une sentence d’échec.

Lynn s’accroche, encouragée par Lucy. Le jour où survient un drame chez Lucy, tout bascule avec la rumeur consécutive. Le doute ébranle la vieille amitié. Autour de Lynn, une autre solidarité se met en place.

Fyzal Boulifa, naguère primé à deux reprises à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise avec les courts métrages The Curse (2012) et Rate Me (2015), signe un premier long métrage sans afféterie. Le scénario, un peu bancal, contraint un peu trop les personnages dans des rôles que les acteurs, malgré des interprétations justes (mention à Scrimshaw, débutante non professionnelle), peinent à nuancer.

On ne peut s’empêcher de relever qu’il est produit par une société baptisée Rosetta Productions. L’écho avec le cinéma des frères Dardenne est patent dans le refus des artifices dramatiques. Le choix du cadre 4:3 va de pair avec les vies étriquées dépeintes, sans marge de manœuvre. Même un bref plan de ciel bleu, depuis la terrasse d’un pub, devient horizon bouché.

Hors cette proximité formelle avec ses aînés belges, il s’agit pour le réalisateur moins de dénoncer une injustice de classe que de prendre acte, au sein de celle-ci, d’autres fractures. Point de romantisme de classe ici. Loin de les empêcher, le marasme économique aggrave les travers humains : jalousie, mensonge, envie, hypocrisie… La cible du réalisateur semble la dérive ochlocratique des démocraties occidentales sous le coup de la rumeur numérique. Point de vue qui peut flirter avec le jugement moral, au risque de caractérisations dramatiques moins subtiles qu’il n’y paraît (le trio de coiffeuses).

Lynn + Lucy n’en est pas moins une belle tentative de sortir le drame social de ses ornières causales (le pouvoir de l’argent ou l’impuissance de son absence, on connaît) pour en sonder les conséquences : quand ni la famille, ni l’amitié ne sont plus des remparts, que reste-t-il ? La scène d’épilogue en dit long sur l’illusion du take back control.

Lynn + Lucy Social anglais De Fyzal Boulifa Scénario Fyzal Boulifa Avec Roxanne Scrimshaw, Nichola Burley, Jennifer Lee-Moon, Tia Nelson,… Durée 1h27

"Lynn + Lucy": le dernier clou du cercueil de l’unworking class
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