Roberto Benigni, un Gepetto plein d'amour: "Depuis ma naissance, j’ai toujours été le petit Pinocchio"
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/5fe4e627-8f76-40cd-8b84-1471638c0a7a.png)
- Publié le 08-07-2020 à 06h46
- Mis à jour le 08-07-2020 à 06h48
:focal(1275x858:1285x848)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/HSWRLHVFHFHQLJVAW5K56D7UH4.jpg)
En février dernier, la Berlinale présentait en avant-première - après sa sortie en Italie - Pinocchio , nouvelle adaptation du classique de la littérature jeunesse près de 20 ans après celle de Roberto Benigni. Benigni est aussi à l’affiche de cette nouvelle version, mais se contente ici du titre de comédien, campant Geppetto pour Matteo Garrone. Loin de son univers mafieux habituel, le cinéaste de Gomorra et Dogman signe un film sous forme de retour aux sources du roman Les Aventures de Pinocchio , publié par l’Italien Carlo Collodi à partir de 1881.
À 67 ans, Benigni a pris un petit coup de vieux physiquement. Mais il n’a rien perdu de sa vitalité ! À peine entré dans la grande salle de réunion très impersonnelle du palace berlinois où il a rendez-vous avec la presse internationale, qu’il habille de son incroyable présence. "L’exubérance est la beauté, dit le poète. On doit être exubérant concernant la vie !" , s’exclame-t-il d’emblée, avec son inimitable accent italien en anglais. Une générosité qui fait oublier son long retard…
Une enfance pauvre mais riche
À l’inverse, dans Pinocchio , Benigni apparaît beaucoup plus posé que dans ses propres films. "Je suis d’abord un acteur, je suis la direction de Monsieur Garrone , commente-t-il le sourire dans la voix. Je pensais à un Geppetto plus expansif, plein de gags. Mais Garrone préférait, et je suis d’accord avec lui, que Geppetto soit un père chaleureux et plein d’amour pour son fils. Sans lui, il est perdu. J’ai beaucoup aimé cette façon de jouer. J’avais déjà campé un père dans La Vie est belle , mais c’était un père mi-Geppetto, mi-Pinocchio, qui riait beaucoup. Ici, j’aime beaucoup la façon dont Garrone m’a demandé de jouer ce personnage très pauvre. J’ai fouillé dans mon passé, car ma famille était très pauvre. Mon père était une sorte de charpentier, comme Geppetto. Depuis ma naissance, j’ai toujours été le petit Pinocchio."
Roberto Benigni est en effet issu d’un milieu très modeste. Pourtant, l’acteur-réalisateur italien ne garde que des bons souvenirs de cette époque. "Ma mère et mon père étaient si pauvres qu’ils ne savaient pas lire, mais ils m’ont appris énormément de choses dans la vie. C’était vraiment des parents merveilleux. À la cérémonie des Oscar s (en 1998, quand La Vie est belle décrocha trois statuettes, dont celles du meilleur film étranger et du meilleur acteur, NdlR) , j’ai dit : ‘Je remercie mes parents pour leur plus beau cadeau : la pauvreté.’ Le public a rigolé, mais j’étais sérieux. Ce n’était pas une blague. Je viens d’une famille très pauvre en Toscane. J’ai trois sœurs et on dormait tous dans un seul lit avec mes parents. Mais c’était une pauvreté aristocratique ; nous étions des princes ! Dans mes souvenirs, mon enfance est le meilleur moment de ma vie. Nous possédions le monde entier et ma mère était une princesse. C’est la pauvreté de saint François, celle qui vous rend riche. Qui vous donne l’impression que le monde vous appartient !"
Le Pinocchio de Fellini
La figure de Pinocchio a accompagné Benigni toute son existence. Dès sa plus tendre enfance. "J’étais évidemment un enfant très désobéissant. Et un menteur aussi ! , se souvient le comédien. Mais qui ment est très généreux, car il doit inventer une histoire à chaque fois. Je suis né dans un petit village à 20 km d’où est né Pinocchio, près de Florence en Toscane. Dès l’âge de 5 ans, ma mère m’appelait Pinochietto. Ensuite, Federico Fellini a voulu tourner un Pinocchio avec moi et m’a dessiné en Pinocchio. J’ai plein de ses dessins chez moi. Quelques jours avant sa mort, alors qu’il était malade, j’ai été le voir et il m’a dit : ‘Robertino, tu es mon Pinocchietto. Si je ne peux pas le faire, fais-le !’ C’était comme un testament… Ma vie est remplie de Pinocchio."
Mais Fellini n’est pas le seul à avoir pensé à Benigni pour jouer un Pinochio … "En 2000, j’ai été invité chez Robin Williams, qui était un fan de mon travail et réciproquement évidemment. C’était un génie, qui me manque beaucoup. Il m’a demandé de venir dîner chez lui à San Francisco, dans sa maison en face du Golden Gate. Une magnifique maison remplie de tableaux de Picasso et de Braque, comme un musée. Il m’a juste dit qu’il y aurait deux amis. Quand je suis arrivé, j’ai découvert que c’était Norman Jewison et Francis Ford Coppola ! Juste deux amis… À la fin du dîner, Coppola me dit : ‘Que penserais-tu de jouer Geppetto dans mon Pinocchio ?’ Je lui ai répondu : ‘Pour toi, Francis, je jouerai la Baleine si tu en as besoin !’ "
De Pinocchio à Geppetto
Cette fois, c’est fait. Après avoir joué Pinocchio dans sa propre adaptation en 2002, Roberto Benigni est donc Geppetto. "C’est un rêve pour un acteur de jouer Pinocchio quand il est jeune et son père plus âgé. C’est incroyable ! C’est comme jouer Othello puis Jago, Hamlet puis Ophélie. Si quelqu’un me demande de jouer la Fée, je suis partant !" , s’enflamme-t-il !
Entre les deux films, impossible pour Benigni de choisir, même s’il se montre très sport envers Matteo Garrone… "Mon Pinocchio est mon fils ! Mais le Pinocchio de Matteo est mon préféré de tous. Parce qu’il raconte l’histoire avec des images, pas en étant trop fidèle à l’histoire. Les images du film sont enchanteresses. Hier, quand j’ai revu le film pour la quatrième fois, j’étais toujours transporté. J’avais la bouche ouverte comme ça, à regarder les couleurs, tout ce qui se passe, les sentiments, les émotions… C’est un film merveilleux" , confie le comédien.
Lequel avoue avoir maintenant envie de revenir à la réalisation… "J’adorerais. Pendant 8-9 ans, j’ai beaucoup tourné sur scène avec La Divine comédie de Dante, en Italie et dans le monde. Et j’ai fait beaucoup de télé en Italie ; ce que j’adore. J’ai un peu arrêté le cinéma, sauf pour Woody Allen dans To Rome with Love . Et puis j’ai fait ce Geppetto pour Garrone. Mais j’adorerais refaire un film. Je pense l’année prochaine. Si vous avez une idée pour moi, je suis preneur" , lance-t-il à l’assemblée.
Le Pinocchio de Matteo Garrone
Connu pour ses films durs décrivant la Camorra napolitaine, Matteo Garrone a aussi un cœur d’enfant. Ce Pinocchio , il y pense en effet depuis tellement longtemps qu’il l’avait oublié… "Quand j’avais six ans, j’ai dessiné mon premier story-board de Pinocchio comme un roman graphique, m’a raconté ma mère ! Et puis l’histoire est sortie de ma vie. Mais il y a 5 ans, j’ai eu envie de faire un conte. J’ai donc décidé de lire le roman original - sans doute pour la première fois. J’a été très surpris de découvrir quelque chose de nouveau, d’inattendu. Et je me suis dit qu’il y avait une opportunité à revenir à l’histoire originelle, pour redécouvrir ce chef-d’œuvre et donner la possibilité au public à travers le monde de retrouver cet incroyable classique et lui donner la curiosité de retourner au roman. Et puis, avant de devenir cinéaste, j’étais peintre. C’était donc une opportunité incroyable pour moi, car j’avais tant d’images en tête…" , nous confiait le cinéaste italien à Berlin en février. Pour camper Geppetto, Garrone a naturellement pensé à Roberto Benigni, qu’il connaît depuis de nombreuses années. "Je le connaissais évidemment quand j’étais enfant et plus jeune en regardant ses films. Mais la première fois que je l’ai rencontré en vrai, c’était sur le plateau de La Voce de la Luna , le dernier film de Fellini, dont il tenait le rôle principal et où j’étais figurant. J’avais 19 ou 20 ans…" Malgré leur tempérament très différent, exubérant pour Benigni, plus taciturne pour Garrone, les deux hommes se sont parfaitement entendus. "On a travaillé ensemble de façon idéale , explique le réalisateur de Pinocchio . Roberto a apporté au film et à Geppetto son humanité, son incroyable capacité à créer un personnage que le public retiendra, à la fois emphatique, très tendre et très fragile. On a beaucoup parlé de pauvreté ensemble. Qui mieux que lui, qui a grandi pauvre en Toscane, pouvait dépeindre ce monde ? On a beaucoup discuté, durant la préparation et après, mais on parlait toujours la même langue ; on se faisait confiance. Cela a été un vrai plaisir de travailler ensemble."
Classique du grand écran: Pinocchio au cinéma
Si Pinocchio est devenu un personnage si populaire à travers le monde, c’est évidemment grâce à sa première adaptation en 1940, celle des studios Disney , qui a modelé l’image qu’on se fait toujours de la petite marionnette de bois dont le nez s’allonge quand il ment et qui est accompagnée de Jiminy Cricket, personnage récurrent de Disney apparu pour la première fois dans Pinocchio , inspiré par un Grillon chez Carlo Collodi, que Pinocchio écrase maladroitement dans un accès de colère. Il faudra attendre 1972 pour la première version live de Pinocchio : Les Aventures de Pinocchio , téléfilm en six épisodes réalisé pour la Rai par Luigi Comencini (qui en tirera un film d’un peu plus de deux heures en 1975), avec Nino Manfredi dans le rôle de Geppetto et Gina Lollobrigida dans celui de la fée Turquoise. Après un peu mémorable Pinocchio américain réalisé par Steve Barron en 1996, avec Martin Landau en Geppetto, Roberto Benigni signe sa propre version en 2002, où il se donne le rôle de la marionnette de bois. Dix ans plus tard, l’Italien Enzo D’Alo proposait une nouvelle version animée du film, en attendant le film d’animation de Guillermo del Toro prévu pour l’année prochaine (et qui proposera une vision très différente du personnage). Et sans oublier ce nouveau Pinocchio signé Matteo Garrone .