“Ballad of a White Cow” : la foi du cinéma iranien

Le film iranien du 71e Festival du film de Berlin brise deux tabous à l'écran et s'inscrit dans la lignée des films de Jafar Panahi et Asghar Farhadi.

Alain Lorfèvre
“Ballad of a White Cow” : la foi du cinéma iranien
©Amin Jafari

Le festival de Berlin suit de longue date le cinéma iranien. Citons pour mémoire les prix remportés par Jafar Panahi (Hors jeu, Pardé) ou Asghar Farhadi (À propos d’Elly, Une séparation). L’entrée et la découverte 2021 est Ballad of a White Cow de Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha. La première, également comédienne, fut précisément à l’affiche de Pardé de Jafar Panahi et Kambuzia Partovi, Ours d’argent à Berlin en 2013.

À la fois devant et derrière la caméra d’un film qu’elle a coécrit et inspiré en partie de la vie de sa mère, Maryam Moqadam incarne la veuve d’un meurtrier condamné à mort.

Erreur judiciaire

Un an après l’exécution de son mari, Mina ment encore à leur jeune fille, malentendante. Elle lutte financièrement afin de conserver leur logement, tout en repoussant les avances plus ou moins insistantes de son beau-frère (Pouria Rahimi Sam).

Les autorités lui apprennent qu’il y a eu erreur judiciaire. On offre à Mina une compensation financière. Elle réclame des excuses officielles. Survient Reza (Alireza Sani Far), un inconnu, qui prétend avoir une dette envers son mari et qui l’aide à trouver un nouveau logement. D’abord méfiante, Mina laisse Reza entrer dans sa vie, au risque de l’opprobre. Mais Reza a un secret.

Allégorie

Le film s’ouvre par une citation du Coran, la sourate de la vache. Et contient plusieurs variations allégoriques d’une vache blanche, plantée au milieu d’une cour. La vache symbolise le sacrifice. Et la sourate, liée à la loi du Talion, justifie la rétribution par la peine capitale du crime de sang. Pour survivre, Mina travaille dans une laiterie industrielle, comme une métaphore de l’expiation du crime de son mari qu’elle doit encore porter.

Ballad of a White Cow traite à la fois de l’injustice d’un régime qui refuse de reconnaître ses torts – et enfermé dans une vision rigoriste du monde – que de celle, thème de fond de tout un pan du cinéma iranien moderne, imposée aux femmes. Même veuve, Mina n’a aucune liberté et peu de droits, toujours soumise à l’autorité de la famille de son mari. Mais le constat s’étend à Reza, lui-même prisonnier d’un système auquel il ne peut échapper.

Briser les tabous

On demeure admiratif de la manière dont cinéastes et interprètes iraniens traitent de sujets de société. Ici, les auteurs abordent de front la question de la peine de mort et l’iniquité du système judiciaire.

Cela se fait au prix d’une légère surenchère dramatique – Mina et Reza cumulent les aléas et les coups du sort et font preuve d’une grande légèreté vis-à-vis des interdits qu’ils connaissent mieux que personne.

Mina brise à l’écran deux tabous – magie du cinéma et de Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha qui font un pas de deux audacieux avec les interdits.

L’apparente impasse dramatique du film, parce qu’elle décline ceux qui circulent en festival depuis vingt ans, témoigne surtout de celle d’un régime et d’un système qui broient celles et ceux qu’ils sont censés protéger.

Elle n’enlève rien à la qualité d’interprétation et à la rigueur d’une autre foi : celle en la capacité du cinéma à émouvoir tout en protestant.

Ballad of a White Cow Drame De Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha Scénario Maryam Moqadam, Behtash Sanaeeha et Mehrdad Kouroshniya Avec Maryam Moqadam, Alireza Sani Far, Pouria Rahimi Sam,… Durée 1h45

“Ballad of a White Cow” : la foi du cinéma iranien
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