"Nuevo Orden", l’effondrement de la société vu par Michel Franco
À voir au Mooov Festival en ligne, le radical Nuevo Orden de Michel Franco. Une plongée sans concession dans le cauchemar de la violence sociale.
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Publié le 23-04-2021 à 12h02 - Mis à jour le 24-04-2021 à 16h03
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Ce lundi et ce mardi, le 3e Mooov Festival, qui se déroule en ligne jusqu’au 3 mai, propose de découvrir un film choc: Nuevo Orden★★★ de Michel Franco, qui avait décroché le Grand Prix du jury à la 77e Mostra de Venise. C’est là que, en septembre 2020, nous avions rencontré le cinéaste mexicain de 41 ans.
Découvert avec Después de Lucía en 2012, portrait d’une jeune lycéenne harcelée par ses condisciples, revu avec Chronic (avec Tim Roth en 2015) et Les Filles d’avril (prix spécial du jury Un certain regard en 2017), Michel Franco est l’une des voix les plus singulières du cinéma mexicain contemporain. Pour son sixième long métrage, le réalisateur choisit une approche sans concession pour mettre en scène, de façon visuellement époustouflante, la lutte des classes. Une heure et demie, même pas, pour décrire l’effondrement de la société mexicaine et plonger le spectateur dans le cauchemar d’une violence crue. Et ce à travers le regard de Marianne, une jolie jeune fille de la bonne société qui fête ses fiançailles dans un quartier chic de Mexico. Sauf qu'au-delà des murs de sa villa sécurisée, la tension gronde. Des dizaines de milliers de manifestants, bariolés de couleur verte, ont envahi les rues de la ville…

Conte prémonitoire
Radical, Nuevo Orden est une dystopie au parfum étrangement prémonitoire, comme s’il n’anticipait que de quelques années l’effondrement de nos sociétés… « J’ai mis 5 à 6 ans à préparer ce film. Quand j’ai enfin eu un script, j’en ai longuement discuté avec Yves (Cape, le directeur photo belge de Franco, avec qui il avait déjà tourné ses deux films précédents, NdlR), qui faisait l’aller et retour entre Bruxelles ou Paris. Et on parlait tout le temps des Gilets Jaunes. Comment cela allait-il affecter le film? Puisque, en un sens, c’était déjà arrivé en vrai, même si ça n’a pas été aussi loin que dans le film évidemment. Et quand le film a été terminé, on a eu le mouvement Black Lives Matter… C’est une dystopie, car cela n’arriverait jamais de la façon dont je le montre — j’espère en tout cas qu’on n'en arrivera pas là... —, mais chaque pays, pour des raisons diverses, en est déjà à moitié là… Je crois que le film est réaliste en termes de relations entre les personnages, de description de la corruption, mais j’ai assumé le côté dystopique. J’ai essayé de rester le plus éloigné possible d’une approche intellectuelle, pour me placer à un niveau sensoriel », explique Franco. Qui préfère qu’un « film soit plus proche de la vie que d’un film. Du coup, c’est vrai que chez moi, les bons ne sont pas récompensés… »
Ce qui est frappant dans Nuevo Orden, c’est que ce déchaînement de violence de foules en colère est dénué de toute idéologie. « On ne sait même pas s’ils sont tous pauvres, commente le cinéaste. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont insatisfaits. C’est tout ce que l’on sait des Gilets Jaunes d’ailleurs. Sont-ils de droite? De gauche? Anarchistes? Jeunes? Vieux? Le Chili a connu cela aussi. C’était très surprenant car en Amérique latine, on voit toujours le Chili comme très en avance; ils ont les soins de santé publics. Les gens sont en colère partout. (...) Et j’ai très peur que la réponse soit une dérive totalitaire, que toutes ressources servent à contrôler de plus en plus les gens. »

La colère d’un peuple
À travers le calvaire de cette richissime famille mexicaine prise d’assaut par la populace, Nuevo Orden met en scène les différences entre classes sociales, mais aussi ethniques. De façon assez audacieuse, Franco filme ainsi, dans le rôle des manifestants assoiffés de vengeance, des indigènes. « On doit arrêter d’être cyniques ou hypocrites. On doit parler des choses comme elles sont. C’était étrange à tourner, car quand on tourne, on fait les choses presque pour de vrai… Monica Del Carmen (qui joue une indigène venant en aide à l’héroïne, NdlR) est mon actrice préférée; elle joue dans la plupart de mes films. Ça rend les choses plus faciles. On savait qu’on dépeignait quelque chose de très éloigné de qui nous sommes, mais qui, pourtant, nous entoure. C’est une question capitale dans mon pays. Monica ne reçoit par exemple jamais de bons rôles, car elle ne ressemble pas à Marianne… Chaque rôle intéressant au Mexique va un certain type d’acteurs. C’est pour ça que Yalitza Aparicio a été une telle sensation dans Roma. Mais ça ne devrait pas être exceptionnel, ça devrait être normal! Je suis très heureux que Cuarón l’ait fait; c’est une première étape… »

La représentation de la violence
Dans son nouveau film, le cinéaste mexicain aborde frontalement la question de la violence, physique et sociale. Et à l’écran, il n’élude rien: exécutions sommaires, viols, torture… « Ce n’est pas si violent physiquement. Par contre, la façon dont la mère traite l’infirmière par exemple, ça, c’est violent, tempère le réalisateur. Je pense que la violence doit être représentée de façon réaliste à l’écran. Je ne voulais pas que le public puisse se délecter de celle-ci; elle devait donc être vraie, dure à regarder. Mais j’ai aussi essayé de ne pas trop en faire. Je ne voulais pas, si je passais les bornes, que l’on soit choqué et que l’on sorte du film… C’est une question d’intuition et d’équilibre... »
Malgré son omniprésence, la violence, froide, sèche, de Nuevo Orden n’apparaît en effet jamais complaisante. Elle est le moteur même d’un film très impressionnant et désespéré sur l’avenir du monde et sur le cynisme des gouvernants.

- « Nuevo Orden » est diffusé en VOD sur Mooov.be ce lundi 26/4 à 19h30 et ce mardi 27/4 à 21h30. Ticket: 8€.