Comment réussir la bande-annonce d'un film? "Aujourd'hui, au-delà de cinq secondes, les jeunes ont l’impression qu’on les importune…"
Thomas Borsu, gérant de la société belge Audimat Productions, nous dévoile les trucs et astuces pour donner au public l’envie de voir des films sur les différents médias et plateformes.
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Publié le 29-05-2021 à 10h01 - Mis à jour le 29-05-2021 à 10h08
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Qu’elles nous énervent ou nous captivent, en dévoilent trop ou piquent juste ce qu’il faut la curiosité, toutes les enquêtes le démontrent, les bandes-annonces constituent la motivation principale pour visionner un film, avant les critiques et le bouche-à-oreille. Mais avec l’émergence de nouveaux médias comme Tik Tok ou Instagram, par exemple, dont les contraintes diffèrent fondamentalement, les spots destinés à la télévision ou aux salles de cinéma ont pris un petit coup de vieux. Avec obligation, pour leurs concepteurs, de s’adapter désormais à une multitude de publics aux exigences et à la patience très variables.
“C’est encore plus subtil que ça, puisque les bandes-annonces varient en fonction des médias mais aussi de l’âge des spectateurs ou des genres cinématographiques”, explique Thomas Borsu, gérant de la société belge Audimat Productions, qui a notamment réalisé les autopromos de Plug RTL pendant 12 ans et qui signe les spots pour Belga Films. “C’est un métier très spécifique et de plus en plus souvent géré directement par les sociétés qui produisent le matériel. On part souvent d’un trailer de 3-4 minutes pour faire des bandes-annonces plus accrocheuses de quinze, dix ou même cinq secondes parfois. L’objectif, c’est toujours de donner envie de voir le film ou le programme sans prendre trop de temps. Les jeunes de 10 à 15 ans, au-delà de cinq secondes, ils ont l’impression qu’on les importune…”
Quelles sont les durées en fonction des médias ?
“Les plateformes de diffusion online préfèrent que cela ne dure pas plus de vingt, voire quinze secondes. En télévision, en général, on ne dépasse pas les trente secondes. Sur YouTube, on peut faire un condensé d’une minute. Pour le cinéma, il n’y a pas de durée précise, mais cela tourne souvent autour des trois minutes.”
Quelle est votre marge de manoeuvre sur des durées aussi courtes ?
“Il est très rare qu’on puisse voir tout le film. On a donc déjà des indications en fonction des trailers disponibles. Souvent, les choix sont opérés avec les équipes marketing du distributeur belge. Le jeu du montage est très important : susciter le désir, donner un moment clé de l’intrigue pour laisser entrevoir le contenu du film et, bien sûr, montrer le titre. En cinq secondes parfois, cela veut dire qu’on dévoile un coup de feu, une phrase, un mot, en deux ou trois secondes, car le nom du film, le logo et son affiche sont très importants. L’identité graphique doit être immédiatement reconnaissable.”
Comment cibler un public en si peu de temps ?
“La voix off, par exemple, donne une couleur au spot. Pour les films d’action, on part vers des voix plus graves et masculines. Si c’est une romance ou une comédie, on opte plus volontiers pour des voix féminines. Après, en fonction du style et du public visé, on va prendre un timbre plus grave, plus aigu, plus doux ou plus sensuel.”
Il existe des trucs pour attirer l'attention ?
“Des films de notre enfance, nous avons tous retenu des phrases cultes. Donc, c’est à mettre en valeur. Tout comme des stars comme Christian Clavier, par exemple. Le but, c’est de laisser un souvenir même après avoir vu le film, sans tout dévoiler.”
C’est pourtant un reproche souvent adressé aux bandes-annonces...
“C’est que le film n’était pas formidable si on a tout vu en si peu de temps (rire). Il faut se concentrer sur le début, ne pas gâcher le plaisir de la découverte en dévoilant les moments clés. Pour Mon Ket , François Damiens avait réalisé une campagne sans utiliser les images du film.”
Existe-t-il des modes dans les bandes-annonces ?
“Oui, comme pour tout. Regardez celles de cinq ou vingt ans : cela n’a plus rien à voir. Comme la manière de filmer. Voici 15 ans, les spots faisaient toujours 30 secondes. Aujourd’hui, c’est 10 ou 15. Cela change le rythme. Il faut être plus accrocheur car les jeunes regardent souvent deux ou trois écrans en même temps.”
En télé, il faut être plus lent ?
“Cela dépend de la fiction. Si c’est un film français familial, ce sera moins rythmé que pour un film d’action américain. After, qui est ciblé sur les ados, ne sera pas dynamique pour autant parce qu’il parle d’amour. On joue plus sur l’atmosphère, la tension, dans ce cas-là.”
Est-ce que les plateformes imposent des règles strictes ?
“Oui. Par exemple, on peut voir une arme mais pas le feu qui en sort sur Youtube. La plupart n’acceptent pas non plus de montrer une personne dénudée. Sinon, le spot n’y est pas diffusé. Pour les chaînes de télé, on dispose de plus de marge de manœuvre : on peut voir le film en entier et choisir les extraits pour donner envie. Après, on écrit un texte, on fait venir une voix off et on la place dans le spot avec les intentions qu’on lui demande.”
Il y a des stars pour les voix off en Belgique ?
“Disons qu’il y a entre 50 et 100 personnes qui font ça très bien chez nous. Mais pour le cinéma, la tendance est à la suppression des voix off. Même chose pour les docus Netflix. On cherche plus à faire vivre les images par elles-mêmes, sans présentation, avant de conclure avec le titre et la date de sortie. Tout ça doit être prêt un mois avant la sortie du film. Mais jusqu’à il y a peu, on ignorait totalement quand ils pourraient être présentés chez nous. On ne manque donc pas de travail, car c’est compliqué, pour celui qui a monté un film, de réaliser une bande-annonce : il est tellement impliqué dans son projet qu’il a du mal à passer à une écriture vidéo beaucoup plus courte. Pour nous, l’essentiel, c’est de garder une fenêtre ouverte à la fin, susciter la curiosité ou la réflexion pour avoir envie de connaître les réponses ensuite en regardant l’œuvre.”