"Nomadland": le film événement qui part à la rencontre de l’Amérique invisible

Lion d’or à Venise et Oscar du meilleur film, un chef-d’œuvre d’humanisme porté par une immense Frances McDormand. Un des grands films à ne pas manquer en cette réouverture des salles de cinéma!

null

Lion d’or à Venise, Golden Globes, Bafta, Oscars… Nomadland a tout raflé sur son passage. C’est qu’en cette étrange année ciné, Chloé Zhao a réalisé un grand film de cinéma, qui impose toute sa puissance au grand écran. Filmant les paysages cinégéniques de l’Ouest américain, elle pervertit la mythologie hollywoodienne classique et signe un film important sur l’Amérique contemporaine.

La cinéaste d’origine chinoise porte en effet un regard très singulier sur son pays d’adoption. Comme dans ses films précédents, les formidables Les Chansons que mes frères m’ont apprises et The Rider , Zhao inscrit sa fiction au cœur même de la réalité et offre à Frances McDormand (également productrice du film) un de ses plus grands rôles (logiquement récompensé d’un troisième Oscar de la meilleure actrice fin avril). Celui de Fern, une veuve d’une cinquantaine d’années poussée à quitter sa maison, à vivre en vagabond. Mais toujours avec dignité. "I’m not homeless, dit-elle. I’m houseless." Qu’on pourrait traduire : "Je ne suis pas sans toit. Je suis sans maison…"

Les perdants de l’American Dream

Basé sur Nomadland : Surviving America in the Twenty-First Century, livre-témoignage de Jessica Bruder paru en 2017 (cf. ci-contre), le film débute dans la ville fantôme d’Empire, Nevada. Suite à la fermeture de l’usine de plaques de gypse, la ville a été totalement désertée, jusqu’à perdre son code postal. Après avoir mis toutes ses affaires dans un garde-meuble, Fern est l’une des dernières à partir, au volant d’une petite camionnette aménagée avec un lit et une kitchenette. Première étape dans un camp pour caravanes pratiquant des tarifs préférentiels pour les employés d’un centre d’expédition d’Amazon, où Fern a trouvé un boulot à temps partiel…

Construit comme un road-movie à travers les grands espaces somptueux du western, Nomadland ne fait jamais dans le touristique. Ce que filme Chloé Zhao, comme elle le faisait dans ses films précédents, ce ne sont pas les sublimes paysages, mais celles et ceux qui l’habitent. Ce que filme la cinéaste, ce sont les marginaux, volontaires ou non, les oubliés du rêve américain, les perdants de la machine à dollars.

Scénariste, réalisatrice et monteuse de ses films, Chloé Zhao est une véritable autrice, imposant un regard différent, radicalement anti-hollywoodien, sur l’Amérique d’aujourd’hui. Même si, cette fois, aux côtés de "vraies gens", elle place des acteurs confirmés, comme Frances McDormand et David Strathairn. C’est de cette cohabitation fertile que naît la justesse du film.

"Nomadland": le film événement qui part à la rencontre de l’Amérique invisible
©Disney

Dans leurs propres rôles

Ainsi, les émouvantes Linda May ou Swankie, deux vieilles nomades que rencontre l’héroïne et qui lui apprennent à survivre sur la route, sont tout aussi justes que McDormand. Tandis que l’actrice paraît vivre autant que jouer les situations quotidiennes de son personnage : se réchauffer dans un lit glacial, bosser dans un diner, se baigner nue dans une rivière…

Sans être une critique frontale du rêve américain, Nomadland n’en est pas moins un grand film politique sur l’Amérique et ses contradictions, sur ce pays revendiquant sans cesse la liberté et rejetant pourtant celles et ceux qui, en renonçant à l’American Way of Life, ont justement choisi de vivre libres et dignes…

"Nomadland": le film événement qui part à la rencontre de l’Amérique invisible
©Disney

Nomadland Drame réel Scénario, réalisation & montage Chloé Zhao (d’après le livre de Jessica Bruder) Photographie Joshua Jam Musique Ludovico Einaudi Avec Frances McDormand, David Strathairn, Charlene Swankie… Durée 1h47

"Nomadland": le film événement qui part à la rencontre de l’Amérique invisible
©Cote LLB

Bio-express: Chloé Zhao, du cinéma indépendant à Marvel

Née à Pékin en 1982, Chloé Zhao a grandi en Chine, puis a poursuivi ses études à l’étranger dès l’âge de 15 ans. D’abord à Londres, ensuite dans le Massachusetts (sciences politiques) avant de se diriger vers des études de production cinématographique à l’université de New York. Dès son premier film, Les Chansons que mes frères m’ont apprises en 2015, la jeune cinéaste impose son approche radicale, en insérant sa fiction au cœur d’une réalité documentaire pour décrire quelques jours d’été dans la vie d’un frère et de sa jeune sœur, dans la réserve indienne de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud. Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et Grand Prix du Festival de Deauville, The Rider poursuit dans l’exacte lignée en 2017. Soit le portrait d’un cow-boy aux rêves de liberté brisé par un accident de rodéo. Porté par le jeune homme à qui cette histoire est réellement arrivée, ce drame d’une rare intensité brouille plus encore les liens entre fiction et réalité pour proposer une passionnante relecture de la mythologie américaine. Désormais intronisée à Hollywood grâce à ses Oscars de la meilleure réalisatrice (la deuxième seulement après Kathryn Bigelow pour Démineurs en 2010) et du meilleur film pour Nomadland, Chloé Zhao est désormais une cinéaste influente. Dont la liberté de parole est d’ailleurs très mal vue par son pays natal où, selon elle, "le mensonge est partout". La presse chinoise a ainsi passé sous silence son triomphe aux Oscars, tandis que Nomadland est menacé de censure en Chine… De quoi faire peur à Marvel, qui pourrait se priver d’un énorme marché si la Chine venait à interdire le prochain film de Zhao : Les Éternels (cf. ci-dessous). La jeune cinéaste travaille actuellement sur une adaptation, entre western et S-F, de Dracula.

"Nomadland": le film événement qui part à la rencontre de l’Amérique invisible
©Disney

Les Éternels: le grand écart de Chloé Zhao

Au vu de ses trois premiers films, viscéralement ancrés dans le réel, difficile d’imaginer Chloé Zhao à la barre d’un blockbuster Marvel. Pourtant, dès 2018, Disney l’a choisie pour réaliser Les Éternels avec Angelina Jolie et Salma Hayek. Soit l’introduction dans le MCU (Marvel Cinematic Universe) des Éternels, une ancienne race humaine créée par les Célestes, des entités divines, pour protéger la Terre contre les Déviants. Si la cinéaste, également monteuse de ses films, a pu obtenir de tourner un maximum de scènes en décors réels, elle a par contre dû renoncer au montage et au final cut. Sortie prévue le 4/11.

Avalanche de prix pour "Nomadland"

Depuis septembre 2020 et son avant-première mondiale à la Mostra de Venise, Nomadland a fait un parcours sans faute, raflant littéralement des centaines de prix, dont les plus importants.

  • Mostra de Venise 2020: Lion d’or
  • Festival de Toronto 2020: Prix du public
  • Golden Globes 2021: meilleur film dramatique et meilleure réalisatrice
  • Bafta 2021: meilleurs film, réalisatrice, actrice et photographie
  • Independent Spirit Awards 2021: meilleurs film, réalisatrice, photographie et montage
  • Oscars 2021: film, réalisatrice et actrice
"Nomadland": le film événement qui part à la rencontre de l’Amérique invisible
©Disney
Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...