Sortie de crise pour le cinéma belge
La sélection belge francophone à Cannes reflète son évolution. Son bilan 2020 révèle que le secteur a bien résisté à la crise. Notamment grâce à l’apport du plan de relance de la Fédération.
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Publié le 09-06-2021 à 20h07 - Mis à jour le 10-06-2021 à 10h25
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Les Intranquilles de Joachim Lafosse, sélectionné en compétition, sera le film belge emblématique du Festival de Cannes en juillet. Pour ses pairs du secteur, on parlerait plutôt d’un retour à la tranquillité, au vu du bilan 2020 du Centre du cinéma et de l’audiovisuel (CCA) de la Fédération Wallonie- Bruxelles dévoilé mercredi, jour de réouverture des salles de cinéma.
Trois bilans en un
Cet exercice de transparence annuel, annulé l’an dernier pour cause de pandémie, a permis en réalité de défendre trois bilans. Celui du CCA, celui du plan de relance du secteur lancé par la ministre des Médias et de la Culture Bénédicte Linard (Écolo) et, entre les lignes, celui de Jeanne Brunfaut, directrice du CCA, accusée récemment dans un livre d’orienter les décisions de la Commission du Cinéma, instance d’avis indépendante, et de contrecarrer la diversité de la création.
Sans relancer la polémique, l’intéressée répond par les faits et les chiffres - en associant son équipe aux fruits récoltés, au premier chef l’ampleur de la sélection belge à Cannes cette année (lire ci-contre). D’autant meilleure qu’elle se distingue par sa diversité, plusieurs premiers films et œuvres de réalisatrices et d’auteurs issus d’horizons multiples.
La diversité, le Centre du Cinéma la recherche. À sa demande, la chercheuse Sarah Sepulchre (UCLouvain) analyse celle du cinéma francophone belge. Le constat d’étape de ce work in progress est que, malgré des évolutions et des politiques proactives, nos cinéastes, en fiction comme en documentaire, montrent encore majoritairement des personnages blancs, hétérosexuels et valides. De larges pans de la société demeurent invisibles devant comme derrière la caméra.
Se livrant à une analyse genrée des auteurs de film, Jeanne Brunfaut relève que si le cinéma francophone belge demeure majoritairement masculin, 35 % des projets déposés en 2020 le furent par des femmes - une proportion stable. Et, mieux, qu’un projet sur deux soutenu est celui d’une réalisatrice. Fruit, sans doute, de la réforme des instances d’avis culturelles qui a permis d’instaurer la parité à la Commission du Cinéma.
Dans le contexte singulier que l’on connaît, le nombre de projets de films soumis et soutenus n’a pas baissé. Bien au contraire : la Commission du Cinéma a attribué 11,69 millions d’euros d’aides en 2020 (contre 9,49 en 2019). Sur les 644 projets examinés (578 en 2019), 165 promesses d’aides ont été octroyées (141 en 2019). Le taux de sélection de 25,62 % sur l’ensemble des demandes demeure parmi les plus élevés des commissions d’aide européenne, se plaît encore à souligner Jeanne Brunfaut.
Plan de relance et fonds de garantie
Les 4,52 millions du plan de relance ont bénéficié durant la pandémie aux auteurs, aux producteurs et aux diffuseurs. Les Intranquilles, encore une fois, en est un exemple parmi d’autres. Tourné l’été dernier, en pleine pandémie, il a notamment bénéficié du fonds de garantie qui couvrait financièrement le tournage en cas d’arrêt dû au Covid-19. La Belgique fut un des premiers pays à mettre en œuvre un tel fonds dès juillet 2020.
Le plan de relance se poursuit à l’occasion de la réouverture des salles, avec l’opération "J’peux pas, j’ai cinéma" qui offre au public 17 500 places à 1 € dans une trentaine de salles de la Fédération.
Concernant la carrière des films, en revanche, la pandémie n’a rien arrangé à l’habituel point noir du cinéma francophone belge. Seuls treize films d’initiative belge francophone ont pu sortir en salles (presque moitié moins qu’en 2019).
Fréquentation en hausse… et en baisse
La hausse de fréquentation (+ 51 %) ne signifie pas grand-chose dans un contexte où la concurrence fut moindre durant le peu de semaines d’ouverture des salles. Cette hausse est portée par un film atypique, Bigfoot Family de Ben Stassens, dessin animé à la typologie hollywoodienne (qui ne relève pas des films soutenus par le Centre du Cinéma). Son box office déduit, le nombre d’entrées est en diminution de 52 % en Belgique.
La petite entreprise des séries se poursuit. L’investissement conjoint de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la RTBF porte ses fruits. Unseen a été présenté fin 2020. Coyotes a entamé sa diffusion. On attend Baraki et une quinzaine d’autres séries sont sur le métier.
Même motif de réjouissance pour le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel concernant l’appel à productions légères renouvelé en 2020. Celui-ci concerne des films à budget réduit et ne rentrant pas dans le moule de développement ou de création classique. Parmi les œuvres qui en ont bénéficié, plusieurs se sont déjà fait remarquer, comme Fils de Plouc de Lenny et Harpo Guit, sélectionné au Festival de Sundance, ou Aya de Simon Coulibaly Gillard, sélectionné dans la section parallèle cannoise de l’ACID.
Quatre axes futurs et quelques chantiers
Remerciée pour son action par les professionnels qui ont pris la parole, la ministre de la Culture Bénédicte Linard a présenté quatre axes "pour le futur" : poursuivre le soutien à la diversité, renforcer les aides à l’écriture et au développement, soutenir les salles de cinéma "qui jouent un rôle fondamental de lien social" et assurer une meilleure coordination entre les différents leviers de financement (et, donc, niveaux de pouvoir) à l’œuvre.
Vaste chantier, pour le dernier, auquel les professionnels et représentants des associations professionnels en ajoutent deux, un peu liés : la négociation du décret dit SMA (services de médias audiovisuels) qui doit fixer la contribution des Gafa et des géants du streaming à la création d’œuvres locales et une réforme du mécanisme du tax shelter.
Soit un début de feuille de route pour le monde d’après. Dans le cinéma belge francophone, l’intranquillité reprend vite ses droits.