Paul Verhoeven revient sur la scène culte de Basic Instinct: "Après 30 ans, je peux dire ce qui s’est vraiment passé"
L’actrice franco-belge s’est donnée corps et âme dans une farce religieuse plus ironique que mystique.
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Publié le 07-09-2021 à 17h39 - Mis à jour le 26-01-2022 à 17h25
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En juillet dernier, Paul Verhoeven présentait enfin Benedetta en compétition à Cannes, avec deux ans de retard - il était souffrant en 2019 et le festival fut annulé en 2020. Absente du palmarès, cette évocation détonante du destin de sœur Benedetta Carlini, figure historique du lesbianisme, offre un grand rôle à Virginie Efira, que le cinéaste hollandais a choisi après sa prestation en catholique hypocrite face à Isabelle Huppert dans Elle en 2016. Dans la chambre d'un palace de la Croisette, on rencontre un cinéaste de 83 ans d'excellente humeur, drôle et avide de parler de son nouveau film. Même s'il était un peu inquiet de sa réception. "Hier soir, quand je regardais mon film, j'avais presque un regard extérieur. Est-ce que j'aime ce film ? Les gens vont-ils l'aimer ? Il m'a fallu une heure pour aimer à nouveau mon film, souriait-il face à une table de journalistes internationaux. Durant la première heure, il y avait très peu de réactions… J'avais l'impression que personne n'osait rire…"
Parallèle avec "Basic Instinct"
Le lendemain de la présentation du film, Cannes parlait beaucoup du godemichet sculpté dans une statue de la Vierge qu'utilise Virginie Efira dans le film… Il ne s'agit pas d'un détail historique, mais d'une invention de Verhoeven. "Mais c'est basé sur un paragraphe du livre de Judith Brown (qu'adapte ici le Hollandais, NdlR). Au début du XVIe siècle, une loi disait qu'une femme qui couchait avec une autre femme devait être brûlée. Mais cela a été assoupli le siècle suivant. À l'époque du film, en 1625, une femme ne risquait pas le bûcher si elle avait utilisé un objet avec une autre femme. Comme, avec mon co-scénariste, pour des raisons dramatiques, on voulait une scène sur le bûcher à la fin du film, on a inventé cela. Sinon, cela aurait été historiquement incorrect."
Toute cette agitation autour de cet objet rappelle des souvenirs à Verhoeven. "Cela me fait penser un peu à Sharon Stone écartant les jambes dans Basic Instinct (qui ressort en salles en version restaurée le 29/9, NdlR). Je ne parviens toujours pas à convaincre les gens que quand on a tourné cette scène, c'était vraiment rien du tout pour nous. On a tourné, on a regardé la scène et on n'en a plus parlé. Pourtant, 30 ans après, on en parle encore…"
Dans ses récents mémoires, La beauté de vivre deux fois (publié chez Robert Laffont), l'actrice écrit qu'elle ne savait pas qu'on verrait son sexe à l'écran au moment de tourner la scène en question. Elle affirme même avoir giflé Verhoeven lorsqu'elle a découvert le film la première fois… Mais qu'elle a accepté que la scène reste dans le montage final, "car elle correspondait au film et au personnage". "On est resté en bons termes, même si je n'en garde pas le même souvenir qu'elle…, commente le cinéaste. Je ne veux pas dire quoi que ce soit de négatif sur elle, car elle a fait un excellent boulot ; je ne pouvais rêver mieux. Elle a participé au succès du film. Quand le film a été montré, ses avocats, son manager, ses attachés de presse ont compris que c'était un grand film et qu'elle deviendrait une star, mais ils pensaient qu'il fallait retirer ce plan. On lui a dit qu'elle avait une chance d'être nommée, voire de remporter l'Oscar, mais que ce plan l'en empêchait. Ils avaient raison d'ailleurs… Je crois que c'est son entourage qui l'a poussée à adopter une approche agressive. Alors que j'avais renvoyé tout le monde du plateau, y compris Michael Douglas. Il n'y avait que la scripte, le directeur photo Jan de Bont et moi. Quand on a commencé à tourner, elle a ôté sa petite culotte et me l'a offerte en cadeau… C'est vrai ! Et je l'ai donnée à ma femme Martha. Qui l'a lavée… Après 30 ans, je peux dire ce qui s'est vraiment passé", sourit le cinéaste.
Le Jésus de Benedetta
Si Benedetta se présente comme une farce, le thème de la religion passionne Paul Verhoeven. Pendant des années, il a en effet travaillé à une vie de Jésus à l'écran, auquel il a finalement consacré un livre paru en 2015. Dans le film, il met d'ailleurs le Christ en scène dans les visions de son héroïne. "Après avoir étudié Jésus pendant 15 ans, je connais beaucoup de choses sur lui. Mais il y a une différence entre ce que je pense de Jésus et ce qu'en pensait Benedetta, nuance le cinéaste. Les visions de Benedetta viennent du livre. Je ne les ai pas inventées, même si j'ai changé certaines choses. Elle se disait attaquée par des bêtes sauvages, comme des lions ou des crocodiles. J'ai trouvé que ce serait trop drôle. J'en suis donc revenu au serpent, comme au début de l'Ancien Testament."
Dans le film, Benedetta semble le seul personnage à avoir une foi profonde. "Je ne sais pas si elle croyait vraiment en Dieu, c'est plus en Jésus je pense, tempère Verhoeven. Dans le livre, il y avait aussi saint Paul, saint Pierre, un ange… J'ai réduit à Jésus. Mais c'est son Jésus, pas le mien. Celui-ci lui dit d'abord de rester éloigné de Bartoloméa. Ce serpent que Jésus combat dans sa vision, c'est évidemment la jeune fille, qui glisse sa main entre ses cuisses. Jésus tue les serpents et demande à Benedetta de rester auprès de lui. Plus tard, quand, sur la Croix, il lui dit de se déshabiller, qu'à ses côtés il n'y a pas de honte, c'est en réaction à Bartoloméa, qui, dans la scène précédente, essayait de voir Benedetta nue… C'est donc son propre Jésus. C'est ce qu'elle dit avoir vu dans les notes du procès."
À l'écran, la foi de l'héroïne se traduit de manière très physique, que ce soit dans le désir sexuel ou les stigmates… "Je n'ai jamais eu de problème avec la violence. Je n'ai aucun problème à filmer des gens blessés, avoue le cinéaste. J'ai toujours senti que c'était lié au fait d'avoir vécu à La Haye en 1943-45 au milieu des bombardements. Les trois quarts du quartier où je vivais ont été détruit. Et les Nazis vous forçaient à passer devant les résistants ou ceux qu'ils allaient fusiller pour les regarder. J'ai vu tellement de blessures à 5, 6 et 7 ans. À la fin de la Guerre, je croyais que c'était la norme. C'est après que j'ai découvert la paix…"
S'il s'intéresse beaucoup à la religion, Verhoeven n'a pas grandi dans une famille religieuse. Pourtant, à la vingtaine, il a rejoint l'Église pentecôtiste. "Pour trois semaines… Mais au début, quand le révérend remerciait Jésus d'avoir été avec nous ce soir, j'ai vraiment cru qu'il était là - même si je sais aujourd'hui que c'était la musique de l'orgue. C'est cela que j'ai essayé de montrer dans le film, et non ce que je sais de Jésus aujourd'hui. Dans la vision de Jésus que je donne, j'ai essayé de montrer ce que les catholiques romains de l'époque devaient ressentir."
Des blondes froides
Virginie Efira dans Benedetta, Sharon Stone dans Basic Instinct et Total Recall, Elizabeth Berkley dans Showgirls, Monique van de Ven dans Turkish Delight… Paul Verhoeven aime un certain type d'héroïnes, plutôt blondes, froides, calculatrices. "C'est très hitchockien ! Je ne sais pas pourquoi, car je ne suis pas marié à une blonde, rigole-t-il. Ce n'est pas un goût personnel. Dire que c'est une approche artistique est un peu exagéré. Je ne suis pas sûr qu'elles doivent être blondes. Ce qui compte, c'est qu'elles aient envie de faire le rôle et que je sente qu'elles peuvent le faire. Quand j'ai choisi Sharon Stone pour Basic Instinct, c'était vraiment sur base de ce qu'elle avait fait dans Total Recall. Mais au début, personne ne voulait d'elle. Michael Douglas détestait cette idée. J'ai rencontré d'autres actrices, comme Michelle Pfeiffer. Toutes voulaient tourner le film, mais pas tel qu'il était écrit…"
En tout cas, ses actrices semblent avoir adoré travailler avec lui sur Benedetta. Virginie Efirase dit "dingue" de lui, tandis que la jeune Belgo-Grecque Daphné Patakia, qui partage l'affiche avec elle, parle de ce tournage comme d'un processus "démocratique". "C'est vrai, reconnaît le cinéaste. À la fin, il faut évidemment qu'il y ait un capitaine qui prenne une décision, mais tout le monde sur le plateau ou dans la salle de montage doit pouvoir dire : 'Je crois que tu te trompes, j'ai une meilleure idée.' En général, je trouve qu'on fait trop une fixation sur le cinéma d'auteur. Je préfère la méthode hitchockienne, où chacun doit être bon. Hitchcock a toujours travaillé sur le scénario de ses films avec ses scénaristes, mais il n'a jamais voulu être crédité au scénario. La magnifique scène de l'avion dans La Mort aux trousses, c'est son idée, comme la dernière scène, mais il ne l'a jamais revendiqué. Je trouve ça classe."