Renate Reinsve: "Ce film 'Julie' est un conte de fées pour moi"
Alors qu’elle comptait arrêter le cinéma, Renate Reinsve a reçu, comme un cadeau, le premier rôle de "Julie (en 12 chapitres)". Un magnifique portrait d’une jeune femme d’aujourd’hui signé par le Norvégien Joachim Trier. À voir dès ce mercredi en salles.
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- Publié le 17-11-2021 à 14h17
- Mis à jour le 18-11-2021 à 11h26
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En juillet, Renate Reinsve recevait l'une des distinctions les plus importantes au monde pour une actrice : le prix d'interprétation du 74e Festival de Cannes, pour son incroyable interprétation dans Julie (en 12 chapitres) , qui sort au cinéma ce mercredi. En octobre, la comédienne norvégienne avait également fait le déplacement au Festival de Gand, où nous l'avons rencontrée, pour présenter ce film magique de son compatriote Joachim Trier, qui a littéralement changé sa vie. "Ce film est un conte de fées pour moi. On rêve évidemment tous qu'il nous arrive quelque chose de grand dans la vie, mais ce prix à Cannes dépasse mes rêves les plus fous ! Je suis toujours sur un nuage , avouait la jeune femme de 33 ans. C'est chouette que ce soit arrivé avec ce projet, car on sentait tous qu'on faisait quelque chose d'important, d'authentique, de vrai. Et il semble que les gens vivent la même expérience en regardant le film."
Quelle a été votre première réaction en lisant ce scénario, écrit pour vous par Joachim Trier et Eskil Vogt ?
J'étais très nerveuse, car c'est un scénario sur une femme écrit par deux hommes. Je me demandais si je me sentirais déconnectée du rôle. Mais je crois que, dès la page 7, je me suis dit : "Yes !" La première scène du scénario, c'est celle où elle s'infiltre au mariage. J'aimais beaucoup le fait que, quand elle se sent seule, triste ou "la pire personne au monde" (le titre du film en norvégien et en anglais, NdlR), elle a des comportements destructeurs. Elle a du mal à faire des choix, car elle a l'impression de ne pas avoir de contrôle sur sa vie. Et en même temps, elle cherche à se construire une identité. C'était magnifiquement écrit. Eskil et Joachim l'ont dit en interview, et je partage leur point de vue : ce n'est pas un personnage féminin. C'est avant tout un être humain très complexe, dont une part de l'identité est d'être femme.
Pourquoi vous a-t-on si peu vue au cinéma depuis "Oslo, 31 août" en 2011 ?
En Norvège, beaucoup de films sont très commerciaux. Il y a vraiment très peu de films avec de la substance, à mon goût en tout cas. Je suis donc restée coincée au théâtre et ne suis pas devenue une actrice de cinéma. J’ai eu quelques petits rôles, surtout dans des comédies, mais ce n’était pas important pour moi d’être dans les magazines, d’être connue. C’était plus intéressant pour moi de travailler des grands rôles au théâtre, plutôt que de tourner des séries télé pas si bonnes…
Est-ce vrai que vous songiez à quitter le métier avant que Joachim ne vous propose ce rôle ?
C’est vrai. J’étais tellement frustrée par l’industrie du cinéma et des séries en Norvège ! Chaque fois qu’un producteur m’offrait un projet qui semblait bien, cela ne se faisait jamais. Et du théâtre, j’en fais depuis vingt ans. Je commençais à me dire que j’allais me reposer…
Et devenir menuisière ?
Oui… Cela semble bête, mais j’ai rénové ma maison. Je n’étais pas très bonne, mais j’ai adoré faire ça. C’est très différent, mais très créatif en fait. J’ai été totalement plongée là-dedans. C’est génial de se dire qu’on a construit sa maison ! Cela donne confiance en soi ! Il y a tellement peu de femmes menuisières que je voulais créer une communauté : d’abord apprendre moi-même, puis transmettre à d’autres femmes, pour gagner en autonomie. C’était le projet. Mais le lendemain de ma décision, Joachim m’a appelée pour me proposer ce film…
Vous semblez si naturelle à l’écran qu’on a l’impression que Julie est très proche de vous…
On est assez proches en fait, car Joachim et moi avons énormément parlé. Il y a évidemment des choses sur lesquelles je ne suis pas d’accord, mais on a cherché à être en empathie avec elle. Par exemple, la grande question d’avoir un bébé ou non. Personnellement, j’ai toujours voulu avoir un enfant. Julie ne veut pas, mais je peux le comprendre. Julie est tellement complexe, pleine de contradictions. Elle est heureuse et triste, pleine de vie et très seule. Elle sait exactement ce qu’elle veut pour de petites choses, mais est perdue dans des situations très importantes. Elle est si humaine. Au début, on voulait qu’elle soit agitée, que son langage corporel soit instable et que cela s’apaise à mesure que l’histoire progresse. Il y a des choses très spécifiques sur lesquelles on s’est mis d’accord. Mais c’était super libérateur qu’elle soit si proche de moi.
On suit Julie sur une longue période, presque vingt ans. C’est un vrai défi pour une actrice ?
Oui. Genre : comment est le corps quand on est plus jeune, puis quand on a déjà accepté certaines choses ? À quoi ressemble-t-on quand on est décidée ou indécise ? Chaque scène est complexe d’un point de vue émotionnel. On cherchait vraiment à intégrer un maximum de nuances et de sentiments contradictoires dans chaque scène. C’est une sorte de jeu auquel on a joué.
Le film aborde la question de la différence d’âge entre Julie et Aksel. Vous êtes aussi plus jeune que Joachim Trier… Aviez-vous le même regard sur Julie ?
Peut-être que Joachim romantisait certaines choses, qui m'agaçaient. Il y avait une vraie dynamique entre nos différents points de vue sur certaines scènes. Pour la scène de rupture avec Aksel par exemple, Joachim et Eskil étaient certains qu'Aksel avait raison. Et moi, j'étais persuadée que c'est Julie qui avait raison et que cela n'avait rien de romantique ! Ça, c'est peut-être générationnel, mais je n'en suis pas si sûre. La première journaliste que j'ai rencontrée pour parler du film avait 10 ou 15 ans de plus que moi et elle était très frustrée, presque en colère : "Ce film parle de ma génération ! Comment une femme de 30 ans peut jouer mes thèmes ?" C'est le premier retour sur le film que je recevais ! Et puis la journaliste suivante, qui avait le même âge que moi, m'a dit : "Ce film parle de moi. Cela parle évidemment de ceci et de cela." Elle avait une vision complètement différente ! Je crois donc que ce film frappe les gens différemment, mais de façon très personnelle…
Dans le film, Julie écrit un essai percutant sur le fait de pouvoir être féministe tout en pratiquant la fellation… En tant que jeune femme, ces questions vous intéressent-elles ?
Absolument. On a beaucoup parlé du fait que Julie est libre sexuellement, qu'elle sait ce qu'elle veut et qu'elle prend le contrôle. Ce dont elle parle dans ce texte, c'est quelque chose qui pourrait être vu comme honteux, mais elle affirme justement que c'est OK d'aller dans les recoins les plus sombres de l'existence, d'accepter que cela fait partie de la vie. Quelle que soit sa sexualité, aussi bizarre puisse-t-elle être, c'est OK. Il y a du féminisme un peu partout dans le film. Je crois que Joachim, lui aussi, est féministe. En l'occurrence, je n'ai rien à voir avec ce texte, c'est Eskil qui l'a écrit, mais en le lisant je me disais : "Oui, c'est bon ! C'est juste !"
La sexualité est une dimension très importante du personnage. Notamment dans cette magnifique scène du mariage, où elle flirte avec un inconnu, fait pipi devant lui…
Ses deux relations masculines principales sont très différentes. Aksel est un intellectuel. Auprès de lui, elle essaye de grandir. Avec le second, Eivind, elle est plus libre, plus corporelle, plus sexuelle. Je pense que c’est libérateur pour elle d’être avec Eivind, ça lui manquait avec Aksel. Et ça, c’est vrai aussi. On partage des choses avec quelqu’un, qu’on n’a pas forcément avec un autre. On a parlé très tôt de la scène où Julie mord les fesses d’Eivind, où elle prend le contrôle de la bizarrerie de sa sexualité. C’était important que ce soit drôle, qu’il n’y ait aucun tabou, qu’elle soit totalement libre. C’est bon de voir ça à l’écran !
Joachim Trier, le révélateur
Le rôle principal de Julie (en 12 chapitres), Joachim Trier l'a écrit spécifiquement pour Renate Reinsve, qu'il connaissait depuis son film Oslo, 31 août en 2011. "Elle n'avait qu'une ligne de dialogue, mais j'avais vraiment envie de retravailler avec elle. Je pensais réellement qu'elle deviendrait une star, car elle a énormément de talent. Mais personne ne lui a donné de rôle intéressant. Mes collègues en Norvège doivent être aveugles !" , nous confiait le cinéaste norvégien à Cannes en juillet dernier. La jeune comédienne a été intimement associée au processus d'écriture de Joachim Trier et de son coscénariste habituel Eskil Vogt, leur faisant régulièrement part de ses remarques à propos du personnage de Julie.
"Elle m’a poussé à aborder un sujet que je n’aurais pas autant traité : cette passion de la sexualité. Je tournais autour de cette idée de tourner une scène de sexe du point de vue d’une femme, mais je ne savais pas comment m’y prendre. Pour la scène où elle mord les fesses d’Eivind par exemple, j’étais un peu nerveux ; les scènes de sexe sont toujours difficiles. Mais elle m’a juste dit : ‘Tu l’as écrit, faisons-le !’ C’est vraiment très drôle de travailler avec elle ; elle est tellement généreuse. C’est bizarre à dire en tant qu’homme, mais, pour ces scènes de sexe, elle a créé une zone de sécurité pour moi… J’espère en avoir fait autant pour elle. Ça a été une vraie collaboration. Elle a beaucoup compté pour trouver les nuances du personnage. La plupart de ses contributions tiennent dans les détails. On appelait ça les séquences jazzy. Dans le jazz, on a une ligne, on sait où l’on va, mais on peut improviser autour de cela. Renate est très bonne pour faire ça."
Le film
Présenté en compétition au 74e Festival du film de Cannes en juillet dernier, Julie en (12 chapitres) (The Worst Person in the World) est le cinquième long métrage de Joachim Trier. Dix ans après Oslo, 31 août, le cinéaste retrouve son comédien fétiche Anders Danielsen Lie et Renate Reinsve pour boucler une trilogie consacrée à la capitale norvégienne. En salles ce mercredi (*), ce film magique, beau comme la vie, retrace quelques années de la vie de Julie, une jeune femme indécise, peu sûre de ce qu'elle veut ou de ses sentiments, partagée entre Aksel, un dessinateur de BD plus âgé qu'elle, et Eivind. Pour ce grand rôle, Renate Reinsve, époustouflante, a décroché à 33 ans le prix d'interprétation à Cannes.
(*) Critique du film et entretien avec Joachim Trier dans le supplément "Arts Libre" de ce mercredi 17 novembre.