"Quand Catherine Deneuve a lu le scénario, elle a tout de suite vu qu’il y avait un souci"
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- Publié le 24-11-2021 à 09h26
- Mis à jour le 26-11-2021 à 16h50
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Le 14 novembre, Emmanuelle Bercot était de passage à Bruxelles pour l'avant-première de De son vivant. Le lendemain matin, avant de monter dans son Thalys pour Paris, la cinéaste évoquait avec bonne humeur ce film douloureux, où elle réunit à nouveau Catherine Deneuve et Benoît Magimel, six ans après La Tête haute. C'est d'ailleurs lors d'une projection de ce film à New York qu'elle a rencontré le docteur Gabriel Sara, qui joue son propre rôle d'oncologue dans le film.
Ce film est-il né de votre rencontre avec le Dr Sara ?
Je voulais absolument me frotter au genre du mélo. Je voulais écrire pour Catherine Deneuve et Benoît Magimel et je voulais que ce soit une mère qui perd son fils, victime du cancer. Mais je n'avais que ça. Il se trouve qu'à la fin d'une projection d'un de mes films précédents à New York, à laquelle assistait ce médecin, il m'a attendu et il m'a dit : "De ce que je vois de vos films, je crois que vous seriez intéressée de venir voir mon travail dans les tranchées du cancer. Je suis cancérologue dans un hôpital de New York." Tout de suite, ça a fait tilt, la coïncidence était trop forte. J'ai pris ça comme un signe. Et je suis revenue le voir un an plus tard. En découvrant son travail, il est devenu évident qu'il fallait que j'assemble le mélo que j'avais envie de faire et son travail de médecin.
Un documentaire sur ce médecin parfait aurait pu être un peu gnangnan, mais au sein de la fiction, l’empathie se crée…
J'avais eu le même problème sur La Fille de Brest, qui retraçait l'histoire d'Irène Frachon, cette pneumologue lanceuse d'alerte. À un moment, on a envie de voir leurs failles, leurs côtés sombres, leurs défauts. Mais c'est compliqué, surtout avec ce docteur. Quand on se promène avec lui dans son hôpital, c'est une rock star. C'est comme si Gandhi passait dans les couloirs ! On s'est demandé s'il devait rester tout le temps positif, mais on s'est dit que oui, car en face, la fiction est tellement dure qu'il ne fallait pas avoir peur de ce côté angélique du docteur. Mais je n'ai pas de souci à représenter des personnages un peu exceptionnels ; c'est aussi louable que de représenter des salauds.
Comment avez-vous effectué vos recherches à ses côtés ?
C’est vraiment beaucoup d’observation et des heures et des semaines de discussions. Après, j’ai fait des simulations. Il était derrière un bureau, moi de l’autre, et je jouais le ou la malade. C’était comme une improvisation. Il réagissait à ce que je disais et j’enregistrais tout. Après, je pouvais retranscrire les dialogues de façon fidèle, vraisemblable et réaliste. Il n’y a aucune impro dans le film. Une fois le scénario écrit, il a tout relu et a reformulé des choses qui lui semblaient plus justes. Je ne voulais pas être approximative, car il y a plein de gens du métier qui vont voir le film.
Quand avez-vous choisi de lui faire jouer son propre rôle ?
Quand il a fallu penser au casting, je me suis aperçue qu'en France, je ne voyais pas d'acteur capable d'incarner ça. Cette humanité-là est difficile à jouer, il faut la respirer. Quand Catherine Deneuve a lu le scénario, la première chose qu'elle m'a dite, c'est : "Qui va jouer ça ?" Elle a tout de suite vu qu'il y avait un souci. Un des agents avec qui j'étais en contact m'a dit : "Je ne vois qu'une personne capable d'incarner ça, de par ses qualités humaines réelles : Bouli Lanners." Mais il tournait aux mêmes dates que moi. Mais dans ma tête, ça trottait de façon inconsciente depuis toujours : et si le docteur était capable de jouer ? On l'a fait venir à Paris pour deux jours d'essais, qui ont été assez concluants pour que je convainque mes producteurs et mes distributeurs qu'il fallait faire ce pari. Sa présence crée un effet de réel. Et je pense que ce réel a joué aussi pour les acteurs. Je me suis toujours dit que, pour Deneuve et Magimel, s'entendre dire par Daniel Auteuil, par exemple, que Benjamin n'en a plus que pour six à douze mois à vivre, ça n'allait pas être du tout la même chose que par un vrai cancérologue. Même nous, en filmant, on avait l'impression d'assister à une vraie consultation. Il y avait un vertige entre le vrai et le faux.
Quelle a été la réaction du Dr Sara quand vous lui avez proposé le rôle ?
Il est tellement curieux de tout, il a un tel amour de la vie, qu’il était tout de suite emballé. Et puis, il se met lui-même un peu en scène. Il peut avoir un côté cabot. J’ai même plutôt édulcoré. La rock star dans les couloirs, je ne l’ai pas montrée. Mais ses petits gestes vers les infirmières, c’est là. Quand ses patients rentrent en consultation, ils se serrent dans les bras, comme si c’était un bienfaiteur de l’humanité. C’est impressionnant.
Il est au-delà du médecin, il est emphatique, psychologue…
La mission qu’il se donne dépasse largement le cadre médical. Il rajoute à son métier une démarche psychologique, philosophique et même spirituelle, sans jamais partir dans des considérations religieuses. Il lance des lignes qui sont de l’ordre d’une forme de spiritualité. Et curieusement, il démontre tant d’amour que, même s’ils sont en résistance, les gens se laissent totalement aller à cela.
Dans le film, vous vous refusez à montrer la déchéance physique de Benjamin. Vous vouliez échapper au documentaire ?
Je voulais que les gens soient beaux. On a tourné en studios pour maîtriser complètement la lumière, qui n’est pas une lumière d’hôpital. C’était des partis pris très net du mélo et cela excluait tout réalisme de la maladie. D’ailleurs, on voit des soignants, mais jamais aucun geste médical : pas de radio, pas d’opération. Il ne perd pas ses cheveux. Il y a plein de choses que j’ai évacuées de la représentation de la maladie. Je voulais que le spectateur puisse regarder Benjamin avec plaisir jusqu’à sa mort. Et en même temps, cela n’empêche pas qu’on y croie.
Le mélo est un genre magnifique mais très difficile. Comment avez-vous trouvé le bon équilibre ?
Le mélo est sur-assumé, mais je sais que c’est un genre qui ne plaît pas à tout le monde. C’est un genre hyper casse-gueule. J’ai été vigilante à évacuer le pathos, mais pas tant que ça. Car le pathos vient d’une forme de vulgarité dans l’émotion et avec le choix des acteurs que j’avais faits, il me semblait que ce n’était pas possible de tomber là-dedans. Il y a chez Catherine Deneuve et Benoît Magimel, une grande élégance dans la façon d’exprimer leurs émotions.
La scène de la mort est très belle, presque du côté de la vie…
On raconte l'histoire d'un malade, mais le film se termine par le docteur disant à son infirmière : "À lundi." La vie et le travail continuent pour eux. À la fin d'une projection récemment, un spectateur m'a dit quelque chose de très beau : "C'est un film qui redonne de la vie à la mort."