"La Mesure des choses": Patric Jean filme la Méditerranée pour exposer les travers d’une modernité toxique

"Du fond du labyrinthe, Dédale disait à Icare…" De sa belle voix chaude, Jacques Gamblin rythme le nouveau documentaire de Patric Jean. Philologue de formation, écrivain, essayiste, ce Montois basé à Paris mène en parallèle une belle carrière de documentariste. Découvert avec Les Enfants du Borinage, lettre à Henri Storck en 1999, il avait agacé Éric Zemmour 10 ans plus tard, en reprenant l'un de ses propos misogynes dans La Domination masculine

Primé d'une mention spéciale du jury au dernier Fiff à Namur, La Mesure des choses se veut, selon son auteur, un "essai poétique et politique", construit comme une divagation sur les rives de la Méditerranée, sur une musique composée par Jean-Paul Dessy et interprétée par l'Ensemble Musiques Nouvelles. Une divagation, car l'auteur semble a priori sauter du coq à l'âne, d'une forêt de pins que l'on découpe en tronçons à des touristes en Crète, de pêcheurs de Tanger au camp de réfugiés du camp de Mória à Lesbos, avant sa destruction par un incendie en septembre 2020.

Renouer avec la sagesse

Pourtant, rapidement, se crée une cohérence, grâce à un retour au mythe d’Icare. Le très beau texte en voix off - où un père s’adresse à son fils pour qu’il évite de reproduire ses propres erreurs - en revient à la sagesse grecque antique. Et à cette notion d’hubris, de démesure humaine.

Partout, Patric Jean film des monceaux de détritus, des machines effrayantes, des montagnes de plastique ou de nourriture. Partout, il montre comment l’humain a rompu l’équilibre avec la nature en cherchant à la mesurer, à la cartographier, à la dompter à son profit.

Captant le réel le plus cru - parfois à la limite du soutenable -, mais aussi la beauté de la nature ou des œuvres de Didier Mahieu (dont il filme le travail en atelier), La Mesure des choses développe une approche très ample. Et ce en ne quittant jamais son sujet : cette mer Méditerranée, si juste pour aborder les questions de la modernité toxique. Car si c'est le creuset de notre civilisation occidentale - toujours marquée par la sagesse antique -, c'est aussi une mer condamnée par le plastique, par le réchauffement climatique et le cimetière marin de milliers de fantômes qui n'ont pas su la traverser, à la recherche d'une vie meilleure. Et, quand ils y parviennent, c'est pour aller se tuer sous 50 degrés dans les serres d'Almeria en Andalousie, pour que l'on puisse manger des fraises en hiver ou s'entasser dans des camps de réfugiés indignes de l'Europe.

Si le constat, accablant, que dresse Patric Jean est politique, il n’emploie par contre pas ici les mots de la politique (capitalisme, surconsommation…), mais bien ceux de la littérature et de la philosophie. Reste que quand Dédale appelle Icare à renoncer à l’hubris technophile et à renouer avec la "mesure des choses", cela signifie clairement de rompre avec nos modes de vie… C’est un appel à la décroissance, à renoncer aux valeurs que le néolibéralisme a enfoui au plus profond de nous depuis des décennies en nous transformant en consommateurs sourds et aveugles à la souffrance des hommes et de la nature.

La Mesure des choses Essai Scénario, réalisation et photographie Patric Jean Avec la voix de Jacques Gamblin Durée 1h30.

"La Mesure des choses": Patric Jean filme la Méditerranée pour exposer les travers d’une modernité toxique
©D.R.
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