"Le passage du théâtre au cinéma a été violent"
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/8a33b855-d2e1-4a40-803f-1b37cad5d373.png)
- Publié le 16-02-2022 à 11h27
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/625CAVCTPRB77MR5DPCXHUNFWU.jpg)
Son rôle dans Papicha (qui lui a valu le César du meilleur espoir féminin en 2020) a donné à Aurélia Georges l'envie de rencontrer Lyna Khoudri. "J'aime la capacité de Lyna à faire surgir l'émotion. J'aime son impassibilité, tout n'est pas lisible sur son visage, ce qui le rend d'autant plus riche. Il fallait quelqu'un qu'on ait envie de regarder en se demandant ce qui se passe derrière. Je voulais rendre visible la part mélodramatique du film."
Trouver le physique de son personnage
Quand on rencontre la comédienne, on est frappé par son calme et son écoute attentive qui correspondent parfaitement au personnage de Nélie, loin de ce qu'on a pu percevoir de Papicha à Haute Couture, où Lyna Khoudri a prêté son corps à des tempéraments de feu.
"Parfois, le début du travail commence physiquement et la psychologie vient ensuite. Et à d’autres moments, l’entrée en matière est plus psychologique et après, on trouve le physique. Ici, le travail a été très physique, au début. Il fallait trouver un parler, une voix, une tenue, savoir où on met ses mains parce que les poches n’existaient pas à l’époque. On a tout le temps les cheveux attachés aussi. La femme était soumise à beaucoup de codes. Cela m’a aidée à rentrer psychologiquement dans ce personnage parce que tout est très mesuré chez Nélie. Avoir des contraintes physiques, m’a aidée à retenir les choses."
Pour Gagarine, en revanche, son travail s'est davantage porté sur la langue. "J'ai dû apprendre le romani et je suis restée beaucoup avec des Roms de Roumanie, à les observer. Je n'ai pas changé de démarche parce que je voyais plein de filles comme moi. Mis à part la couleur de cheveux, l'approche a été plus psychologique : savoir ce que cette fille fait là, pourquoi elle tombe amoureuse de ce garçon, etc. En fait, il n'y a pas une seule technique. Je tâte un peu, au début, je vois ce qui prend. Je me lance et puis, ça vient petit à petit."
Entre rôle très retenu et rôles plus vindicatifs, où se situe le vrai défi ? Elle hésite quelques instants. "Ah, c'est une bonne question. Cela dépend de mon état, en fait. (Elle rit) Si je suis énervée, je peux partir vite. Mais cette retenue est aussi un plaisir parce que je suis très timide dans la vie. Ce qui était dur, c'était de garder un regard pétillant, tout en étant rentrée, discrète. Je suis très casanière, j'aime regarder des films dans ma couette et ne voir personne. Je peux rester quatre jours sans parler et seulement envoyer des textos. Là, il fallait rester sur le qui-vive tout le temps. Le regard d'Aurélia, la réal, m'a beaucoup aidée. Ce n'était pas dur de rentrer mes émotions parce que, dans la vie, je suis plutôt comme cela. La difficulté était de maintenir l'équilibre entre cette fille effacée, mais aussi toujours aux aguets."
Choisir de travailler dans la joie
Sous son apparence très posée, l'actrice fonctionne à l'instinct, au coup de cœur… "S'il n'y a pas une vraie envie, je passe. Si on fait des choses qu'on n'aime pas, ce ne sera pas bien. Ce sont aussi des conversations que j'ai avec mon agent pour savoir si tel rôle ne ressemble pas trop à tel autre, pour ne pas se bloquer dans une image. Mais si j'ai vraiment envie de le faire, je le fais. Ce n'est pas un calcul. J'ai fait Papicha et Haute Couture, deux sujets qui se ressemblent mais ce ne sont pas les mêmes personnes ou trajets de vie."
Bien sûr, les rencontres avec les cinéastes restent déterminantes. "Pour l'instant, je n'ai jamais eu une mauvaise expérience (regard circulaire autour d'elle) je touche ma tête (elle joint le geste à la parole), parce que quand le courant ne passe pas… Dernièrement, j'ai rencontré un réalisateur. C'était un scénario que je voulais un peu retravailler, je m'étais dit qu'on verrait à la rencontre. C'était quelqu'un de très agréable, mais on n'était pas sur la même longueur d'onde. J'ai vu le truc venir : le film serait sans doute très beau mais je me suis dit que pour moi, ça allait être compliqué… Je n'ai pas envie de souffrir. Si j'ai décidé de faire ce métier, c'est pour vivre des bons moments et, en tout cas, travailler dans la bonne humeur." Elle rit…
Le cinéma, une passion héritée de son Papa
Lyna Khoudri a développé sa passion du cinéma aux côtés de son papa, scénariste et réalisateur en télévision, qui a fui l'Algérie avec sa famille en 1993. "Il était très cinéphile, il m'emmenait au cinéma et m'en parlait beaucoup parce qu'il avait été scénariste de séries, aussi. Il avait un vrai rapport à l'image, aux plans… Il aimait me montrer les beaux plans séquences. Il m'expliquait tout le travail de l'équipe derrière. Il était passionné de cinéma comme d'autres le sont de photo ou de peinture. Il m'a transmis cela."
Avant de se risquer sur le grand écran, c’est sur scène que l’actrice a fait ses premiers pas. Un univers théâtral dont les nombreux projets de films l’ont éloignée.
"Au départ, le passage du théâtre au cinéma a été violent parce que j'étais bien au théâtre, c'était mon cocon. J'avais l'impression de creuser les racines de mon métier, d'expérimenter. Quand il a fallu choisir entre les deux, ça a été violent. Et le théâtre m'a beaucoup manqué. Après, j'ai eu la chance de travailler avec Pascal Rambert pendant un an sur la pièce Actrice, créée aux Bouffes du Nord (en 2017) où je jouais la fille de Marina Hands. Une expérience de théâtre qui m'a fait beaucoup de bien. Et là, j'ai la chance de repartir avec lui fin 2022-début 2023." Les répétitions ont commencé fin janvier.
"J'ai été prise dans un tourbillon de cinéma avec Papicha, les César, Wes Anderson, etc. Ce n'étaient que des expériences incroyables que je ne pouvais pas refuser et que je suis tellement heureuse d'avoir vécues. Je remercie Dieu parce que c'est génial de m'avoir donné cela. Mais là, Pascal Rambert m'a demandé de revenir et de bloquer les dates. J'ai dit OK et donc, peu importe ce qui se passera au cinéma, je serai au théâtre."
Lyna Khoudri se prépare à jouer Perdre son sac, pièce montée une fois en Suisse. "Un seul en scène d'une jeune fille au bord du gouffre… Les pièces de Pascal sont des monologues adressés au public comme si on parlait au monde. J'adore ce qu'il a fait récemment : Sœurs avec Marina Hands et Clôture de l'amour, qui a fait le tour du monde et a été traduite en 50 langues. C'est du Théâtre du présent. La pièce est un gros pavé, je n'ai jamais fait ça : une heure sur scène toute seule, je suis en grand flip… Je ne sais pas si je vais y arriver, mais je suis contente. Ça me fait peur et me donne envie à la fois."
D'ici là, on pourra la voir dans Nos Frangins, de Rachid Bouchareb sur l'affaire Malik Oussekine, et dans le deuxième film de Mounia Meddour, Houria. "Deux films que j'attends avec impatience parce que les tournages ont été magiques."