À Berlin, les distinctions de genre "sont vraiment dépassées"
L’Espagnole Carla Simon a décroché l’Ours d’or du 72e festival. Le palmarès fait la part belle aux réalisatrices et aux actrices. L’identité des genres est le sujet majeur de plusieurs films.
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Publié le 17-02-2022 à 18h29 - Mis à jour le 20-02-2022 à 14h47
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N’en déplaise aux esprits chagrins ou à certains concurrents de la Berlinale, le volontarisme en matière de représentation des genres peut porter ses fruits sans remettre en question la qualité des œuvres sélectionnées. Le palmarès berlinois 2022 fera, n’en doutons pas, grincer quelques dents, voire hurler à une nouvelle inégalité des sexes dès lors que les femmes, cinéastes, interprètes ou scénaristes, se taillent la part de l’Ours(e) parmi les prix.
Depuis deux ans, la Berlinale remet un prix d’interprétation neutre, sans distinction entre acteurs et actrices. Ce n’est pas qu’un effet de mode. De longue date, le Festival de Berlin accorde une attention aux questions de genre.
Que huit films sur les dix-huit de la compétition berlinoise aient été signés par des femmes a peut-être contribué à ce palmarès au féminin. On osera croire, au regard de la composition du jury, que les critères artistiques ont primé sur toute autre considération dans leurs choix.
Mais il est indéniable qu’avec une plus grande diversité de genres parmi les personnalités sélectionnées en compétition, on augmente la probabilité d’un palmarès inclusif.
Autre évidence : le female gaze sur les plus vieux sujets du cinéma - la romance, l'adultère, la violence, la prostitution, le sexe - s'en trouve modifié avec un regard neuf, vivifiant, différent. Regard qui n'est pas tant celui des cinéastes que celui des protagonistes. Cette représentation de l'expérience féminine ou d'un genre autre que masculin et cisgenre est stimulante. La 72e Berlinale a bousculé les stéréotypes.
Si la mise en scène de personnages homosexuels n'est pas neuve, on a pu apprécier la relecture au masculin du drame Peter von Kant de François Ozon d'après Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder, qui a ouvert cette 72e édition.
Dans La Ligne , Ursula Meier aborde la violence féminine au sein d'une famille - sans en faire le seul ressort dramaturgique de son récit, centré sur une famille composée d'une mère et de trois filles. "Au cinéma, on montre toujours la violence des hommes, a expliqué la réalisatrice suisse. Nous nous sommes demandé : pourquoi ne pas montrer la violence d'une femme adulte, qui ne soit pas causée par des facteurs extrêmes comme la drogue ou la prostitution, mais qui perd tout simplement le contrôle lorsqu'elle se sent blessée."
La quête de plaisir d’Emma Thompson
Inversion du regard sur un autre poncif chez Claire Denis, également, qui suit une histoire d'adultère dans Avec amour et acharnement . Juliette Binoche y trompe Vincent Lindon, qui, après Titane, présente une autre déconstruction de la masculinité inébranlable : "On décrit les hommes comme des humains qui ne peuvent pas résister à leurs pulsions sexuelles parce qu'ils sont hommes, mais les femmes non plus ne peuvent pas résister", souligne Claire Denis à propos de sa femme infidèle.
La comédie Good Luck to You, Leo Grande, de Sophie Hyde, présentée en séance de gala, aborde la question de l'orgasme féminin, qui "n'est pas en tête des préoccupations", selon Emma Thompson.
La comédienne britannique de 61 ans y interprète une veuve qui n'a jamais connu l'orgasme et qui s'offre les services sexuels d'un jeune homme dans l'espoir de l'expérimenter. "Certaines femmes qui ont vu le film m'ont avoué qu'elles n'avaient eu leur premier orgasme qu'à 30 ans. On ne parle pas de cela et on est rarement honnête à ce sujet. C'est pourquoi je pense que ce film est important. Et j'espère que l'on parlera dans la foulée de l'intimité, du plaisir…"
Plus novateur, le thème du gender bending (inversion des sexes) s'est aussi invité à la Berlinale. Dans le documentaire italien Nel mio Nome (Pas en mon nom), projeté dans la section Panorama de la Berlinale, le réalisateur Nicolo Bassetti a suivi la vie de quatre amis de Bologne à différents stades de leur transition de femmes en hommes.
Le producteur exécutif de ce film est Elliot Page, la star oscarisée de Juno, anciennement connue sous le nom d'Ellen Page avant de faire son coming out transgenre en 2020.
Le réalisateur Nicolo Bassetti a été inspiré par son fils transgenre Matteo, 27 ans. Il a déclaré que son objectif était de rendre compte de la "richesse de l'humanité", perceptible sans "lentilles binaires".
Faire ce film lui a fait comprendre qu'il "devait vraiment arrêter d'essayer de faire des hypothèses sur ce que c'est qu'être un homme ou une femme et ce que c'est qu'être hétérosexuel ou homosexuel". "Ces distinctions sont vraiment dépassées et ne sont plus applicables. J'ai plutôt essayé de voir la beauté de ces personnes, de ces êtres humains."