"Rien à foutre": ce qui se cache derrière le sourire de la jeune hôtesse de l’air d’une compagnie low-cost

Adèle Exarchopoulos bouleversante en jeune hôtesse de l’air d’une compagnie low-cost pratiquant la fuite en avant.

À 26 ans, Cassandre (Adèle Exarchopoulos) aime voyager, faire la fête, multiplier les coups d’un soir. Bref, profiter de la vie ! Hôtesse de l’air chez Wing, une compagnie low cost, elle est basée à Lanzarote, aux îles Canaries, où elle partage un appartement avec ses jeunes collègues. Dans une même semaine, elle peut enchaîner Milan, Liverpool, Bruxelles… Mais derrière le sourire forcé de l’hôtesse - qu’elle doit pouvoir tenir 30 secondes lors de ses formations -, se cache un grand vide, suite à la mort de sa mère dans un accident de voiture. La vie de bâton de chaise de la jeune femme dissimule en effet un profond mal-être, une fuite en avant que rien ne semble pouvoir arrêter.

Recherche de vérité

Présenté en juillet 2021 à Cannes, Rien à foutre est le premier long métrage de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre, deux cinéastes français basés à Bruxelles repérés grâce au moyen métrage D'un château l'autre, qu'ils avaient coécrit en 2018. Au générique de fin, le duo revendique "un film pensé et fabriqué par Emmanuel Marre et Julie Lecoustre", et non "écrit et réalisé". Refusant l'idée même de scénario, le tandem a en effet une façon de travailler très particulière, cherchant à faire exister le film au moment du tournage. Le résultat est époustouflant de justesse, les deux cinéastes parvenant à recréer la vie en direct face à leur caméra.

Pour ce faire, ils avaient besoin d'une jeune actrice solide. Après s'être montré sous un jour très étonnant dans Mandibules de Quentin Dupieux (avec une nomination aux César à la clé), on retrouve ici une Adèle Exarchopoulos d'une immense sensibilité, dans la ligne directe de son rôle dans La Vie d'Adèle , qui lui avait valu de partager, à 19 ans, la Palme d'or avec Léa Seydoux et Abdellatif Kechiche en 2013.

Formidable Adèle Exarchopoulos

Instinctive, racée, mutine, la comédienne à fleur de peau se glisse avec une facilité déconcertante dans le dispositif de Lecoustre et Marre. Au milieu de comédiens non professionnels, véritable personnel navigant dans la vie, Exarchopoulos s’abandonne à l’instant, que ce soit dans de longues scènes de discussion alcoolisées improvisées ou dans de simples déambulations dans des aéroports ou les rues de Lanzarote. Elle donne ainsi vie à cette jeune femme déchirée par un trou béant à l’âme.

Superbe étude de personnage, Rien à foutre ne se cantonne pas au petit drame psychologique nombriliste. Le malaise de l'héroïne est évidemment personnel, mais il s'inscrit dans un environnement sociologique précis, parfaitement observé. En filmant l'envers du décor des hôtesses de l'air, Marre et Lecoustre cassent tout effet de glamour, montrent combien le personnel des compagnies low cost est réduit à un travail précaire, où s'imposent cruellement les lois du néolibéralisme, de l'individualisme et de la concurrence forcenée entre les êtres. Un monde malsain, qui se cache de plus en plus difficilement derrière les filtres Instagram des photos que postent les hôtesses depuis l'avion ou la piscine de l'hôtel, le temps d'une escale express qui ne leur laisse même pas le temps de visiter quoi que ce soit...

Une vie de solitude que résume parfaitement la dernière séquence à Dubaï, d'une tristesse bouleversante. Une tristesse en écho à une jeunesse matérialiste en quête de sens. En cela, Rien à foutre s'impose comme un des grands films générationnels de ces dernières années.

Rien à foutre Tranche de vie De Emmanuel Marre et Julie Lecoustre Scénario Emmanuel Marre, Julie Lecoustre et Mariette Désert Photographie Olivier Boonjing Montage Nicolas Rumpl Avec Adèle Exarchopoulos, Marie Taquin, Alexandre Perrier… Durée 1h52.

"Rien à foutre": ce qui se cache derrière le sourire de la jeune hôtesse de l’air d’une compagnie low-cost
©D.R.
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