"La Fièvre de Petrov": une vision hallucinée de la Russie

Cinéaste russe dissident, Kirill Serebrennikov dresse le portrait d’un pays sombrant dans la folie.

Révélé en Compétition à Cannes en 2018 avec le fabuleux Leto , promenade inspirée dans l'univers du rock underground du Leningrad du début des années 1980, le Russe Kirill Serebrennikov est un farouche opposant au régime de Vladimir Poutine. Le réalisateur et metteur en scène de théâtre a d'ailleurs connu de sérieux problèmes avec la justice russe, accusé de détournement de fonds publics (1 million d'euros) avec sa compagnie 7e Studio. Il sera assigné à résidence pendant deux ans et finalement condamné, en juin 2020, à trois ans de prison avec sursis, évitant les six mois de prison fermes requis initialement…

En juillet 2021, Serebrennikov, qui n'avait toujours pas l'autorisation de quitter le territoire russe, n'était pas présent sur la Croisette, pour la première, en Compétition du 74e Festival de Cannes, de son nouveau film La Fièvre de Petrov. Une adaptation explosive du roman Les Petrov, la Grippe, etc. d'Alexeï Salnikov, publié en 2016 dans le magazine Volga, avant d'obtenir le prix Le Nez (en hommage à Gogol) en 2019 et d'être traduit en français l'année suivante aux éditions des Syrtes.

Une épidémie de grippe sévit à Saint-Pétersbourg. Dessinateur de bandes dessinées, Petrov (Semyon Serzin) est malade comme un chien. Alors qu’il est abruti par une forte fièvre, il est entraîné par son ami Igor (Yuri Kolokolnikov) dans une virée forcément alcoolisée - on est en Russie - à bord d’un corbillard ! À mesure que la vodka coule, la frontière entre réalité et fiction se brouille. Petrov voit tout se mélanger dans sa tête : présent, souvenirs d’enfance, flashs psychotiques, création littéraire…

Farce enivrée

La Fièvre de Petrov est un film qui ne laisse guère de répit au spectateur, lui imposant, par la puissance de sa mise en scène, une vision hallucinée de la Russie. Le film s'ouvre ainsi sur un fantasme filmé en plan-séquence : la fusillade des principaux dirigeants du pays - ce qui ne va pas arranger les bidons de Serebrennikov avec le régime de Poutine… Avant de multiplier les registres et les niveaux de réalité, jusqu'à nous perdre complètement, entre la vision d'un pays malade, au bord de la folie, et la nostalgie de la Russie soviétique, à travers les séquences liées à l'enfance. Comme le personnage, on ne sait jamais vraiment à quoi se rattacher dans ce film chaotique, tourbillonnant, même s'il finit par cheminer vers une forme de résolution et d'apaisement dans une très belle dernière séquence en noir et blanc…

L'expérience est déstabilisante, indéniablement intéressante, mais elle laisse un sentiment d'inachevé, d'incompréhension, face à une œuvre bancale, pourtant traversée de moments fulgurants et portée par une mise en scène virtuose, multipliant les mouvements de caméra savants, passant de la couleur au 16 mm ou au noir et blanc… Bref, La Fièvre de Petrov est un grand film malade, à défaut d'être un grand film…

La Fièvre de Petrov / Petrov's Flu Hallucination russe Scénario et réalisation Kirill Serebrennikov (d'après Les Petrov, la Grippe, etc. d'Alexeï Salnikov) Photographie Vladislav Opeliants Avec Semion Serzine, Tchoulpan Khamatova, Youri Kolokolnikov… Durée 2h25.

"La Fièvre de Petrov": une vision hallucinée de la Russie
©D.R.
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