"La Traversée": la coïncidence du propos avec l’actualité ukrainienne ne rend ce film que plus pertinent

Florence Miailhe signe un film d’animation d’une criante actualité.

La Traversée est dédiée "à tous ceux qui un jour ou l'autre quittent leur pays en espérant trouver un avenir meilleur". La réalisatrice Florence Miailhe le dédicace également à sa grand-mère qui, "un jour de 1905 est partie d'Odessa avec ses dix enfants". Elle fuyait les pogroms. Aujourd'hui, d'autres habitants d'Odessa fuient la guerre d'un autocrate. D'un siècle à l'autre, La Traversée est une allégorie des exils modernes.

Tout juste couronnée du César du film d'animation, cette fable magistrale arrive sur les écrans belges à point nommé. D'une facture artistique originale, La Traversée offrira au jeune public, aux familles et aux écoles, un contrepoint bienvenu alors que dix millions d'Ukrainiens affrontent ce que traversent les deux jeunes héros du film, Kyona et Adriel, la grande sœur et son petit frère. La coïncidence entre le film et la guerre en Ukraine souligne, outre son universalité, la tragique permanence de son thème.

Coécrit avec la journaliste et écrivaine Marie Desplechin, La Traversée est donc une fiction, nourrie de bien de réalités.

Le récit débute dans un pays fictif, mais où les patronymes évoquent précisément l’Europe de l’Est. Des miliciens et soldats terrorisent une minorité. Face à la violence et aux exactions, les parents de Kyona et Adriel décident de fuir.

À sa première étape, la famille côtoie les réfugiés d’autres guerres ou les migrants économiques d’autres continents. Suite à un contrôle de police, Kyona et Adriel sont séparés de leurs parents. Livrés à eux-mêmes, ils entament un périple picaresque. L’ombre des trafics humains ou de l’intégration à la hussarde plane sur le récit.

Les différentes étapes du récit empruntent aux contes classiques : Kyona et Adriel sont Hansel et Gretel, les trafiquants sont les ogres, la vieille femme qui recueille Kyona est une Baba Yaga,…

Inspirée de l’histoire de ses aïeux et de sa mère (envoyée seule avec son jeune frère sur les routes de l’Exode, en 1940) la réalisatrice relie intelligemment l’expérience juive du XXe siècle aux déplacements de population plus contemporains.

La coïncidence du propos avec l’actualité ukrainienne ne rend ce film que plus pertinent, rappelant aussi l’injustice du "deux poids, deux mesures" que d’aucuns ont dénoncé face à l’élan de solidarité vis-à-vis des Ukrainiens quand d’autres populations ont pu susciter moins d’empathie.

En dépit de la gravité de son sujet, Florence Miailhe adopte une technique peu fréquente dans une œuvre visant un large public : la peinture sur plaque de verre. Les contours flous ou flottants qui en découlent, les couleurs vives qui émaillent les scènes s’inscrivent dans la mouvance d’un Matisse ou d’un Chagall. Cette médiation esthétique atténue l’angoisse, les violences ou la misère des réalités évoquées.

La Traversée Fable documentaire De Florence Miailhe Scénario Florence Miailhe et Marie Desplechin Avec les voix de Emilie Lan Dürr, Maxime Gémin, Florence Miailhe,… Durée 1h24. À partir de 9 ans.

"La Traversée": la coïncidence du propos avec l’actualité ukrainienne ne rend ce film que plus pertinent
©D.R.
Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...