"Je voulais raconter l’odyssée d’un honnête homme au cœur des ténèbres"
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Publié le 04-05-2022 à 09h02 - Mis à jour le 04-05-2022 à 09h03
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Avec son premier film Natural Light, le Hongrois Dénes Nagy est entré par la grande porte dans l'histoire du Festival de Berlin, où il a remporté l'Ours d'Argent de la Meilleure réalisation pour une première sélection en compétition avec ce premier long métrage de fiction. Quelques jours plus tôt, nous avions pu nous entretenir par Zoom avec ce réalisateur prometteur.
Votre film est adapté d’un roman de 600 pages qui couvre vingt ans. Vous n’en conservez qu’un épisode de trois jours. Qu’est-ce qui a présidé ce choix ?
Ce film n'est pas né du roman de Pál Závada, mais plutôt du contexte. Ce qui m'intéressait, c'était l'expérience de ces soldats hongrois. J'ai lu plusieurs ouvrages sur cette période. La tâche principale des forces d'occupation hongroises était d'éliminer l'activité partisane soviétique. Les partisans qui connaissaient mieux les conditions locales, piégeaient régulièrement l'armée qui se vengeait sur la population civile en brûlant des villages entiers. La lutte contre les partisans s'est caractérisée par cette brutalité. Et je suis tombé sur ce roman et cet épisode qui correspondait à ce que je voulais raconter. Je voulais raconter l'odyssée d'un personnage de ce type au cœur des ténèbres, qui perd ses repères. J'ai toujours été très attiré par les histoires se déroulant dans la nature, dans un environnement méconnaissable et donc toujours menaçant. J'aimais l'idée de montrer ces hommes confrontés à une langue et un territoire inconnu. Un de mes livres préférés est Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. J'ai lu aussi les journaux intimes de soldats aux archives militaires de Budapest. La routine militaire ennuyeuse alterne avec la brutalité de la guerre.
Cette page d’histoire est-elle connue en Hongrie ?
Seulement depuis ces dernières années. Après la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants hongrois n’avaient aucun intérêt à dénoncer les atrocités de l’armée hongroise contre le peuple d’URSS devenu le grand allié. Les vétérans n’ont rien raconté. Ils ne voulaient pas et n’osaient pas.
Votre narration passe presque exclusivement par le visuel…
Avec Tamás Dobos, le directeur de la photographie, on ne pensait pas le film en scènes, mais en visages, portraits et paysages. Personnellement, je trouve que les visages en disent plus que les dialogues. Je ne veux pas raconter le passé d’un personnage, mais le faire ressentir par son visage, son attitude, ses gestes. De même, le paysage est aussi très important. C’est une nature hostile qui a un impact sur les individus. Ces deux piliers ont guidé l’esthétique du film. Et il y a comme autre ligne conductrice le titre du film, qui fait référence à la lumière naturelle. Elle évoque la fonction de Semetka, qui est le photographe de son unité. La lumière révèle. À la lumière du jour, vous ne pouvez rien occulter, rien cacher. Il y a des lumières d’appoint, mais nous avons essayé de les réduire au maximum.
Les films historiques permettent parfois d’évoquer le présent. Est-ce votre intention avec ce film ?
Avec ce personnage, je m’interroge sur moi-même. Cet homme n’aime pas la violence. Il voudrait rester un "honnête homme" dans cette guerre. Il pense qu’il peut passer au travers sans se mouiller. Il y a eu longtemps dans le scénario un dialogue où un jeune russe lui dit : "tu es un homme bon, mais tu es un lâche". C’est cette apparente contradiction - on peut être à la fois bon et lâche - que je souhaitais explorer. C’est là que je fais le lien avec ma situation de réalisateur vivant en Hongrie. Mais on peut transposer cela partout dans le monde aujourd’hui. Nous sommes confrontés à notre responsabilité individuelle en permanence.
Ferenc Szabó, votre acteur principal, est impressionnant. D’où vient-il ?
Comme je l’ai dit, les visages sont primordiaux pour moi. Il était évident dès le départ que nous allions chercher des acteurs non professionnels, avec des visages inconnus. Je cherchais des personnes avec des visages qui ont "vécu", qui sont marqués par une vie de labeur en extérieur. Nous avons donc cherché des candidats en Hongrie et pour les rôles des Russes, auprès des minorités russes en Lettonie où nous avons tourné le film. Ferenc vient d’une localité à 150 kilomètres de Budapest. C’est un éleveur de bovins, qui a cent cinquante têtes dans son cheptel. Il vit seul avec son chien ! À peu de chose près, il joue son propre rôle : un paysan extrait de son milieu et plongé dans une tout autre réalité, où il n’est qu’un rouage parmi d’autres. Il n’a pas endossé une personnalité ou une attitude. Il porte une forme de noblesse sur son visage, tout en étant un homme timide et réservé. Je dirais que Semetka est devenu lui, plutôt que l’inverse. Le film est vraiment construit sur la personnalité de Ferenc. Je crois que c’était la première fois qu’il voyageait aussi loin de chez lui et se retrouvait entouré d’autant de personnes chaque jour. Le tournage l’a déraciné autant que la guerre a déraciné Semetka.