Les écrans de cinéma restent très masculins, blancs et hétéros
Regard sur la diversité dans les films produits côté francophone. Le bilan est honorable, mais les progrès sont en demi-teinte. Un documentaire et un magazine se penchent sur la place des femmes.
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Publié le 11-05-2022 à 18h27 - Mis à jour le 11-05-2022 à 23h19
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"Di-ver-si-té." C'est le mot-clef martelé par Jeanne Brunfaut, directrice du Centre du cinéma et de l'audiovisuel (CCA) de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), et la ministre de la Culture Bénédicte Linard (Écolo) lors de la présentation du Bilan du cinéma 2021, fin avril.
Au regard des films phares de 2021, soutenus par la Fédération Wallonie-Bruxelles, le bilan est honorable : Titane, Palme d'or cannoise, signé par Julia Ducourneau et porté par Agathe Rousselle ; Un monde, également primé à Cannes et récompensé de sept Magritte du cinéma, réalisé et écrit par Laura Wandel ; Une vie démente, succès public et critique aux sept Magritte également, cosigné par Ann Sirot et Raphaël Balboni… Mais ces beaux exemples cachent une réalité moins paritaire et une représentation de la société à l'écran plus uniforme, comme le constate Sarah Sepulchre.
Professeure à l’UCLouvain, cette spécialiste des cultures populaires et des études de genre quantifie depuis 2018 la représentation des genres, des statuts, des minorités dans les œuvres issues de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle vient de présenter son étude genrée annuelle.
Des pans invisibles de la société
Même si 2021 fut une "inhabituelle", compte tenu de la pandémie et du peu d’œuvres sorties en salles (9 films de fiction et 13 documentaires pour 153 personnages principaux et secondaires codés). Sur un corpus aussi réduit, un seul film peut impacter de plusieurs pourcents une catégorie.
Mais les chiffres démontrent qu'en Fédération Wallonie-Bruxelles, comme en France ou aux États-Unis, de larges pans de la société restent sous-représentés ou invisibles à l'écran. Six personnages sur dix en fiction sont des hommes (notons que la proportion est similaire aux États-Unis et en France avec 38 % de personnages féminins). La parité est atteinte en documentaire. Mais on n'a vu aucun personnage trans en 2021.
Les écrans sont très uniformes avec une large majorité de personnages blancs (70 %), valides (80 %), adultes (70 %), issus de la classe moyenne (50 %) et hétérosexuels (43 % plus 48 % sans orientation précisée). On observe même un recul de la diversité, notamment par rapport à 2019, dernière année en régime "normal", exceptionnellement plurielle.
Derrière la caméra, la proportion de femmes augmente depuis plusieurs années dans les métiers majeurs (production, scénario, réalisation). Si cette croissance plafonne à 1 % par an depuis 2016, notons que le total local de 36 % est supérieur à la moyenne européenne (23 % selon l'Observatoire européen de l'audiovisuel).
Le Centre du cinéma souligne que les femmes ont des taux de sélection plus élevés que les hommes (32 % pour les réalisatrices contre 26 % chez les hommes). La composition de la commission du Cinéma a aussi évolué, avec désormais 45 % de femmes (et une quasi-parité dans la commission Longs métrages).
Sarah Sepulchre relève la limite de la seule analyse quantitative. "Il faudrait croiser les chiffres avec une analyse des scénarios des films", précise-t-elle. "C'est bien d'avoir 70 % de personnages principaux des documentaires qui sont féminins. Mais si c'est pour montrer des femmes qui ne vont pas bien…"
Suivant une politique volontariste, la Fédération a adopté l'an dernier un Plan diversité, qui suit les principes de non-discrimination et d'égalité de l'Union européenne et les recommandations du Conseil de l'Europe.
Toucher un public plus représentatif
Nouveauté depuis avril : les demandes d'aides à la production doivent comporter une fiche "invitant les porteurs de projets à réfléchir à la diversité et l'inclusion devant et derrière la caméra". Il ne s'agit pas d'imposer mais de sensibiliser : "Cette fiche n'a pas pour vocation d'affecter la nature du projet artistique, précise le Centre du cinéma, mais d'ancrer un processus de questionnement chez les auteurs, réalisateurs et producteurs."
Autre nouveauté : les lauréats d'une aide à l'écriture d'un projet de fiction peuvent bénéficier d'une séance de "sensibilisation à la représentation destinée à les aider à prendre conscience des pistes d'amélioration en matière de diversité et d'inclusion au regard des spécificités de leur propre projet".
Le but de ces initiatives est aussi de toucher "un public plus représentatif de la société". Outre-Atlantique, où le cinéma est une industrie, la finalité de telles études dépasse la seule bonne conscience. "Les résultats démontrent qu'un public diversifié préfère des contenus diversifiés", lit-on dans le Hollywood Diversity Report 2021 (Rapport sur la diversité à Hollywood). "Les films préférés des ménages [américains] ont un tiers d'interprètes issus des minorités." Un constat non négligeable alors que la relance de la fréquentation est un enjeu majeur.