La CInematek explore les liens entre Belgique et Congo à travers le cinéma
Du 23 juin au 31 juillet, la Cinematek se penche sur les liens entre Bruxelles et Kinshasa à travers 25 films et une exposition sur le souffle de vie et la transmission. Où se déploie tout l’art du “Kasàlà”…
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Publié le 23-06-2022 à 14h47 - Mis à jour le 27-06-2022 à 10h48
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Congo Oyé ! En prélude au 62e anniversaire de l'indépendance du Congo, le 30 juin prochain, la Cinematek propose durant un peu plus d'un mois, du 23 juin au 31 juillet, une sélection de 25 films offrant un panorama du 7e art reliant Bruxelles à Kinshasa, Kisangani, Lubumbashi et Matonge, entre autres villes.
Une programmation qui rassemble Congolais d'ici et de là-bas ainsi que de nombreux amoureux de la RDC. L'occasion de "dépasser les sempiternels documentaires de l'époque coloniale" ou avoisinante et de revenir, notamment, sur l'année 2020 qui restera dans les annales comme celle qui a vu le premier film originaire de la RDC être présenté en sélection officielle du Festival de Cannes. Il s'agissait du formidable documentaire En route pour le milliard ! (à voir le 17/07) réalisé par Dieudo Hamadi, déjà remarqué pour ses précédents films Maman Colonelle et Kinshasa Makambo , entre autres.
Dans la foulée, d’autres jeunes cinéastes congolais vont pouvoir démontrer l’ampleur de leur talent : Nelson Makengo, Djo Munga, Clarisse Muvuba, Tshoper Kabambi, Ronnie Kabuika et Nganji Mutiri…
De "Matamata et Pilipili" à "Juju Factory"
Ce voyage en images, planifié par la productrice et conférencière Monique Mbeka Phoba, compte 22 films et autant d'étapes dans une histoire souvent chahutée entre Belgique et Congo. En remontant jusqu'à la fameuse série des Matamata et Pilipili (29/06) créée par Albert Van Haelst, un duo façon Laurel et Hardy dont les gaffes et l'humour ont réjoui tout le Congo à l'époque des missionnaires. En partageant Ce magnifique gâteau !, film d'animation (le 01/07) qui fait référence à la même époque coloniale. Ou en découvrant le portrait de Paul Panda Farnana, premier Congolais diplômé de l'enseignement supérieur en Belgique.
D'autres, tels les aînés Balufu Bakupa Kanyinda et Mweze Ngangura, ont ensuite pris le relais, livrant leur regard sur la relation entre Congolais et Belges à travers des films comme Le Damier (28/06), Juju Factory (20/07) ou La vie est belle. Ce dernier long métrage est à voir, en version resaturée, à Flagey afin de faire le lien avec la programmation Caméras d'Afrique subsaharienne qui prolonge, jusqu'au 27/08, celle proposée à la Cinematek.
Le 30 juin, on pourra revoir le formidable Pièces d'identité de Mweze Ngangura qui traite avec sensibilité le thème de l'exil et la quête d'un père congolais tentant de retrouver, à Bruxelles, sa fille dont il a perdu la trace. Le film a été sacré Étalon d'or au Fespaco en 1998.
Au cœur du quartier Matonge
Quelques films explorent le quartier le plus africain de Bruxelles où commerces, salons de coiffure et restaurants entretiennent la relation au(x) pays lointain(s). Avec Matonge, un quartier africain au cœur de l'Europe de Pat Patoma et Abel Pulusu (le 7/07) et Waste Land de Pieter Van Hees (le 10/07), l'imaginaire kino-bruxellois se dévoile à travers les lieux refuges qui définissent l'âme de ce coin d'Ixelles bigarré.
Autres moments historiques : 1974, l'équipe congolaise est la première issue d'Afrique noire à aller en Coupe du monde, un événement retracé dans le documentaire Entre la Coupe et l'élection (le 15/07). La même année, Kinshasa accueille le combat Ali-Forman, un événement narré dans le film When We Were Kings (11/07). Enfin, Africains poids moyens (29/06) révèle la pugnacité d'un autre boxeur : Bea Diallo.
L'occasion aussi de (re)voir le Viva Riva de Djo Munga (25/07) qui fit beaucoup de bruit à sa sortie en 2010 ou de découvrir de jeunes pousses comme Nganji Mutiri, réalisateur du long métrage Juwaa (14/07). Le lien est également tracé avec la jeune génération qui a grandi en Belgique, notamment à travers le très caustique Kaniama Show de l'artiste aux talents multiples Baloji (15/07). Sans oublier Ata Ndele ! et Girl Fact aux regards résolument afroféministes (28/07) ou les réflexions autour des Racines, langue et identité (23/06).
Cette programmation concoctée par Monique Mbeka Phoba, spectatrice assidue de la Cinematek, se prolonge à travers les résonances avec des créations de trois artistes liés à la RDC : Jean Kabuta, Agnès Lalau et Mega Migiendi (cf. ci-contre). Leurs œuvres, installées dans le salon Europa, poursuivent le voyage esquissé entre Bruxelles et Kinshasa, et retour.
Chaque film est au moins présenté deux fois à la Cinematek. Seule la première date de projection est indiquée dans l’article. Rens. et tickets : Cinematek.be
Avec le professeur Jean Kabuta, chacun cherche sa voie/voix
En quittant la salle Ledoux de la Cinematek, le spectateur traverse le salon Europa où trois artistes prolongent l’exploration des liens entre Belgique et Congo à travers une réflexion sur le souffle de vie inspirée du poète congolais Sony Labou Tansi.
L'Acte de respirer est le titre d'une série de sept courts poèmes écrits en 1976 par Labou Tansi. Des poèmes auxquels le parcours du professeur Jean Kabuta semble intimement lié puisque le "kasàlà", qu'il pratique, interroge lui aussi l'origine des êtres et le souffle de vie. Ce souffle, "force instinctive et répétitive", est aussi un outil de résistance politique lorsque "le droit de respirer devient un enjeu de lutte", rappelle la première installation vidéo de la salle.
"Dis-moi ton nom, celui de tes ancêtres"
On y voit le professeur Jean Kabuta expliquer qu'à travers son initiation au kasàlà, il a découvert une autre façon de respirer. "Le kasàlà contemporain renforce les liens, relie les générations, relie la personne à sa communauté, son histoire, sa terre […] Et répond en cela à sa devise : de la poésie à l'action." En replaçant l'individu au coeur de sa lignée familiale, on lui permet de tracer son destin. Sachant mieux d'où il vient, il peut décider où il va…
C’est cet art oral, rendu populaire à travers la figure du griot, que le professeur Kabuta enseigne aujourd’hui, après des années consacrées à la linguistique et aux littératures africaines au sein de l’Université de Gand. Le kasàlà ne concerne pas seulement les grands de ce monde, mais aussi tout être humain. Il permet de décliner les qualités non seulement de ses père et mère, mais aussi de ses plus lointains ancêtres afin de retracer le chemin de filiation à travers les générations. Un art (re)découvert par Jean Kabuta lors de son retour au Congo, après de longues et fructueuses études.

La redécouverte de cette tradition provoqua un tel choc qu’il voulut immédiatement approfondir sa quête et établir les différentes variations de ce poème chanté ou récité que l’on retrouve dans les traditions orales de toute l’Afrique sous des appellations variant selon les langues pratiquées. Un enseignement que le professeur Kabuta poursuit à Rimouski, au Canada, où il s’est installé et où la question de la transmission est tout aussi cruciale pour les Premières Nations.
Soigner la langue, la transmission
Jean Kabuta propose aujourd'hui d'autres chants et poèmes qui soignent l'âme. Il sera présent à Bruxelles ce 23 juin à la Cinematek pour en discuter en compagnie d'Agnès Lalau, artiste graveuse, à l'issue de la séance proposée à 19 h.
Dans un court film animé (6 minutes) réalisé au départ de ses gravures, Agnès Lalau interroge la fonction d’une statuette Luba. On entend l’artiste discuter avec sa mère au sujet de la prononciation d’un mot en tshiluba tandis que défilent divers fragments de la statuette et de son visage comme pour illustrer les pièces manquantes dans la transmission de sa culture.
Le dernier artiste présenté est un spécialiste des dessins à grande échelle. Mega Mingiedi propose une fresque où il combine des détails liés à l'architecture kinoise et des symboles traditionnels congolais. Il y intègre des dialogues, mots et objets culturels ou non. Son œuvre aborde la question de la restitution des œuvres d'art du Congo présentes notamment au musée de Tervueren. Il témoigne ainsi du dialogue "houleux et compliqué entre Bruxelles et Kinshasa avec, en son centre, l'Africa Museum, institution à l'histoire compliquée et en pleine mutation".
À travers ces trois artistes, les histoires transmises, les traces, effacées ou présentes, "refont surface pour nourrir le dialogue et permettre à chacun de reprendre conscience de son souffle", souligne Sorana Munsya, cocuratrice de l'exposition imaginée pour le Kanal-Centre Pompidou Bruxelles et Horst.