A Venise, Iñárritu renoue avec le Mexique dans une production Netflix de prestige
Jeudi soir, le cinéaste mexicain Alejandro G. Iñárritu est entrée dans la course au Lion d’or avec "Bardo", un film visuellement époustouflant et aux accents très personnels.
- Publié le 01-09-2022 à 21h53
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Jeudi soir, au lendemain de la présentation de White Noise en ouverture de la 79e Mostra del cinema, le public vénitien retrouvait déjà une production Netflix en Compétition: Bardo, falsa cronica de unas cuantas verdades***. Ce film de près de trois heures marque le retour sur le Lido d'Alejandro G. Iñárritu, sept ans après avoir ouvert le festival en beauté avec Birdman. Quelques mois plus tard, il devenait le premier Mexicain à empocher l'oscar du meilleur film et celui du meilleur réalisateur.
Bardo sonne comme une réponse à Birdman. Il s'ouvre d'ailleurs par un clin d'oeil à la scène finale de Birdman, qui voyait Michael Keaton s'élancer dans le ciel New York. Tout aussi magistrale, la scène se déroule dans un désert: un homme court pour s'envoler dans le ciel, redescend au sol et s'envole à nouveau… On le retrouve un peu plus tard dans la salle d'attente d'un hôpital. Sa femme vient d'accoucher mais le gynécologue la prévient que le bébé refuse de vivre dans ce monde pourri et qu'il est contraint de le replacer dans le ventre de sa mère… Quand il sort de ses rêveries, Silverio (Daniel Giménez Cacho) se réveille dans un bel appartement au Mexique, où il est de retour 30 ans après avoir quitté son pays pour devenir un grand nom du documentaire. Dans quelques jours, il recevra à Los Angeles le prix du journalisme éthique, remis par ses confrères américains. Une première pour un Latino-Américain…
Forts accents autobiographiques
Dans son nouveau film, le premier depuis The Revenant avec Leonardo DiCaprio en 2016 (qui lui avait valu également l'oscar du meilleur réalisateur), Iñárritu quitte donc Hollywood pour retrouver le Mexique et une inspiration clairement latino-américaine, à travers cette épopée intime et virtuose, nourrie de réalisme magique. Dans Bardo, le cinéaste mêle en effet sans cesse les pistes entre la réalité et la fiction car, comme le dit son personnage: "Toutes ces histoires inspirées de faits réels, c'est de la pure hypocrisie. Seule la fiction permet d'accéder pleinement à la réalité."
La vérité en l'occurrence de Bardo, c'est le vécu d'Iñárritu, dont le parallèle avec son héros saute aux yeux. Comme lui, il est ce bon Mexicain qui a réussi chez les Gringos et qui entretient une relation compliquée avec son pays. Cela fait en effet deux décennies qu'Iñárritu vit à Los Angeles, où il s'est imposé comme un réalisateur de premier plan, à l'image de son compatriote Alfonso Cuarón. Et comme pour Roma de ce dernier (Lion d'or ici à Venise en 2018), Netflix a laissé une totale carte blanche à Iñárritu pour proposer une évocation très personnelle des retrouvailles avec le Mexique — 22 ans après avoir réalisé son seul film mexicain jusqu'à aujourd'hui, Amores perros — mais aussi de ses rapports doux-amers avec son pays d'accueil. Comme le démontre cette scène d'arrivée à l'aéroport de Los Angeles, où le personnage est humilié par un douanier. Une scène qui est sans doute arrivée à Iñárritu. A moins qu'il ne se soit inspiré de ce qu'a plusieurs fois raconté son pote Guillermo Del Toro (qui avait révélé l'acteur Daniel Giménez Cacho dans Cronos en 2003)…
Une fable époustouflante
Au-delà de son côté autobiographique, Bardo impressionne surtout par la maîtrise technique du cinéaste mexicain. Visuellement époustouflant, le film multiplie les plans-séquences savants, les images marquantes, fait sans cesse se répondre réalité, fiction, passé et présent avec une facilité déconcertante!
Reste que, si le film est mené tambour battant et parvient sans cesse à se renouveler, en multipliant les scènes les plus impressionnantes les unes que les autres, Bardo dure près de trois heures et qu'on les sent quand même un peu passer. Mais bon, le film est destiné à Netflix. On peut toujours faire une pause ou regarder la suite le lendemain… Iñárritu le sait et il en joue d'ailleurs, à travers quelques allusions savoureuses — dont un tacle au concurrent Amazon qui, dans son film, s'est mis en tête de racheter au Mexique l'état de Basse-Californie!
***Bardo, falsa cronica de unas cuantas verdades Drame De Alejandro G. Iñárritu Scénario Alejandro González Iñárritu et Nicolás Giacobon Photographie Darius Khondji Musique Bryce Dessner Avec Daniel Giménez Cacho, Griselda Siciliani, Ximena Lamadrid… Durée 2h54
