Nan Goldin en guerre contre la famille Sackler à Venise
Samedi après-midi, la 79e Mostra de Venise dévoilait le seul documentaire de la compétition: "All the Beauty and the Bloodshed" de Laura Poitras. Un portrait intime de la photographe Nan Goldin et de son combat dans l’épidémie des opioïdes.
- Publié le 03-09-2022 à 14h06
- Mis à jour le 03-09-2022 à 14h11
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La Mostra de Venise accueille rarement des documentaires en compétition. Mais, chaque fois, il s'agit de films importants. Que l'on pense à The Look of Silence de l'Américain Joshua Oppenheimer, sur le génocide indonésien de 1965, qui avait décroché le Grand Prix en 2014 ou de Sacro GRA de l'Italien Gianfranco Rosi, seul documentaire à avoir remporté le Lion d'or en 2013. Avec All the Beauty and the Bloodshed, présenté ce samedi en Compétition de la 79e Mostra de Venise, Laura Poitras, l'une des cinq réalisatrices en lice cette année, tente donc de lui succéder.
Dans son nouveau film, la journaliste et réalisatrice américaine dresse le portrait de la photographe Nan Goldin, découverte grâce à ses diaporamas mettant en scène la communauté dans laquelle elle évoluait, celle des drag queens, des homosexuels et toute la faune underground du Manhattan des années 1970 et 1980, où l'on croisait des personnalités telles que le réalisateur John Waters ou son actrice Cookie Mueller, dont Goldin fut très proche. Autant de portraits ou d’autoportraits, parfois au coeur de la plus pure intimité — la photographe fut notamment connue pour se prendre en photo durant l’acte sexuel — que l’on redécouvre au grand écran grâce à des extraits de ses célèbres diaporamas, qui nous replongent dans l’atmosphère vibrante et interlope du New York de cette époque, mais aussi dans la douleur des années Sida.
De l’intime au combat
En confiance avec Poitras, Nan Goldin se livre de façon intime, racontant pour la première fois son expérience de la prostitution ou, plus bravache, son entrée dans le monde de l’art, quand elle apporta une caisse de ses photographies à sa première galerie new-yorkaise en payant le chauffeur de taxi par... une fellation. Plus grave, elle revient aussi sur le suicide de sa grande soeur Barbara, alors qu'elle était enfant, et sur le rôle joué par ses parents dans celui-ci.
Mais la cinéaste oscarisée en 2015 pour Citizenfour, dans lequel elle nous faisait vivre de l'intérieur l'affaire Snowden tel un thriller d'espionnage à la John LeCarré, ne s'intéresse pas qu'à l'artiste. All the Beauty and the Bloodshed fait en effet se répondre la vie et l'œuvre de Golding avec son combat dans la crise des opioïdes qui, rien qu'aux Etats-Unis, aurait causé plus d'un demi-million de morts depuis la fin des années 1990, dont plus de 100000 rien qu'en 2021! En cause notamment un médicament deux fois plus puissant que la morphine, l'OxyContin, mis sur le marché par Purdue Pharma en 1996 et qui a vu son nombre de prescriptions exploser grâce à une campagne agressive auprès des médecins américains menée par plus de 700 visiteurs médicaux, des commerciaux chargés de les convaincre de l'innocuité du médicament, alors que le laboratoire connaissait pertinemment le danger d'addiction de ce dérivé synthétique de l'opium. Comme le raconte très bien l'excellente série Dopesick avec Michael Keaton sur Disney+.
S’attaquer à la réputation
Après avoir été elle-même dépendante à l'oxycodone, mais aussi au fentanyl (molécule synthétisée pour la première fois en Belgique à la fin des années 1950) et s'en être sortie, Nan Goldin s'est lancée à corps perdu dans le combat contre les opioïdes en créant l'association P.A.I.N. et en s'attaquant directement à la famille Sackler, propriétaire de Purdue Pharma. Et en les l'attaquant là où cela fait peut-être plus mal: à leur réputation de grands philanthropes, possédant des ailes à leur nom dans les plus grands musées du monde.
All the Beauty and the Bloodshed s'ouvre ainsi par une action menée en 2018 au MET à New York, où les activistes ont jetés des centaines de bouteilles d'OxyContin dans la fontaine de l'aile égyptienne, sponsorisée par la famille Sackler, et en se couchant par terre. En utilisant sa réputation d'artiste — dont les oeuvres font partie des collections permanentes de la plupart des musées sur lesquels elle mettait la pression, comme le Guggenheim, le Louvre ou la National Portrait Gallery de Londres —, Nan Goldin a frappé fort et, si les Sackler n'ont jamais été condamnés par la justice américaine pour leur rôle dans la mort de centaine de milliers de personnes, ils l'ont été par le monde de l'art…
Aussi juste dans l’intime que dans le combat, ce documentaire engagé frappe juste et a été largement applaudi en projection de presse. Et devrait logiquement se retrouver au palmarès samedi prochain.
All the Beauty and the Bloodshed Documentaire De Laura Poitras Diaporamas Nan Goldin Musique Soundwalk Collective Montage Amy Foote, Joe Bini et Brian A. Kates Durée 1h57
