"Saint Omer": la femme derrière l’infanticide
Ce mercredi, deux Français entrent en Compétition à Venise. Avant Florent Zeller, en lice ce soir avec le très attendu "The Son", Alice Diop a dévoilé cet après-midi un premier long métrage de fiction très fort, qui aborde, frontalement, une affaire d’infanticide.
- Publié le 07-09-2022 à 17h19
- Mis à jour le 09-11-2022 à 23h10
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Frontal et rigoureux. Il n'y a pas d'autres mots pour décrire l'approche d'Alice Diop dans Saint Omer, présenté ce mercredi après-midi en Compétition de la 79e Mostra de Venise.
Documentariste française reconnue, Alice Diop proposait notamment, dans Nous, présenté à Berlin en 2021, le portrait d'une France plurielle en suivant la ligne B du RER, qui parcourt la banlieue parisienne. Dans son premier long métrage de fiction, la cinéaste d'origine sénégalaise poursuit son exploration de ce que signifie vivre en France quand on n'a pas la même couleur de peau. Et ce, en s'intéressant à un fait divers tragique.
Romancière d’origine africaine, Rama (Kayije Kagame) vit avec son compagnon, un musicien blanc qui adore sa belle-famille. Mais la jeune femme, enceinte, est troublée en ce moment. Elle part pour Saint-Omer, dans le nord de la France, où, pour son prochain livre, elle va suivre le procès de Laurence Coly (Guslagie Malanga). Étudiante sénégalaise installée en France depuis plusieurs années, celle-ci est accusée d’avoir assassiné sa petite fille de 15 mois, Lilli, en la laissant seule, une nuit, sur une plage de Berk. L’enfant a été retrouvée noyée. Laurence, qui vivait en couple avec un homme plus âgé, le père de l’enfant, souffrait visiblement d’une grave dépression. Et ne peut expliquer son geste que par la sorcellerie, le maraboutage...
Son film, Alice Diop l'ouvre sur un cours magistral que donne Rama à l'université. Elle fait se répondre un très beau texte de Marguerite Duras tiré d'Hiroshima mon amour, dans lequel elle se met dans la peau d'une femme tondue à la Libération, et les images de ces femmes humiliées publiquement dans les villages de France au sortir de la guerre. Par la grâce de la littérature, de l'art, la figure honnie accède, explique la romancière, au statut, sinon d'héroïne, tout du moins de "sujet en état de grâce". C'est exactement ce que propose la cinéaste avec ce film, pour tenter de comprendre le geste inimaginable d'une mère envers son enfant.

Coécrit avec Marie NDiaye
Coécrit avec l'écrivaine Marie NDiaye (Goncourt 2009 pour Trois femmes puissantes), Saint Omer s'inspire très directement de l'affaire Fabienne Kabou, que la romancière avait déjà abordée dans son dernier roman La vengeance m'appartient. En juin 2016, cette jeune femme avait été condamnée en première instance à 20 ans de prison pour le meurtre de sa petite fille. Alice Diop retrace ici très rigoureusement le procès de cette mère infanticide. On suit ainsi les débats, l'interrogatoire de l'accusée, imperturbable et s'exprimant dans un français très soutenu, les interventions de son avocate, de la présidente ou de l'avocat général… Mais il est difficile de percer le mystère de cette femme intelligente et cultivée, dévorée par la solitude et ayant sombré dans la spirale de la folie.
Ces débats, Diop les met en scène de façon très austère, à travers de longs monologues filmés souvent face caméra, juste entrecoupés de plans sur le public dans la salle d'audience, et notamment sur le visage totalement impassible de Rama… Et c'est là que Saint Omer se fait passionnant. Non pas tant pour l'histoire de cette Médée contemporaine en elle-même que pour l'écho que cette tragédie évoque chez une romancière noire, vivant en Europe et qui partage, malgré elle, une partie du ressenti de cette femme très digne assise dans le box des accusés. De quoi remettre en question sa propre relation à sa mère et à son enfant à naître...

Saint Omer Drame De Alice Diop Scénario Alice Diop et Marie NDiaye Photographie Claire Mathon Montage Faruk Yusuf Akayran et Amrita David Avec Kayije Kagame, Guslagie Malanga, Aurélia Petit… Durée 2h02
