Rebecca Zlotowski lance un cri d’amour aux femmes sans enfant: "J’ai mis du temps à comprendre que ce n’était pas un sujet mineur"
Rencontre avec Rebecca Zlotowski à Venise.
- Publié le 22-09-2022 à 10h46
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/4JJBJV25CRHPFPZISFWF4T5C5Q.jpg)
Mercredi, sortait en salles Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski, un drame touchant emmené par une Virginie Efira éclatante de justesse dans le rôle de Rachel, une prof de français qui, passé la quarantaine, n'a pas d'enfants et s'attache à la fille de son compagnon (Roschdy Zem).
Il y a une quinzaine de jours, nous rencontrions la cinéaste française à Venise, où elle présentait son 5e long métrage en compétition de la 79e Mostra. "J'ai bu énormément hier", s'excuse avec un grand sourire la réalisatrice de 42 ans, au lendemain de la première de son film. Elle paraît pourtant pimpante !
Le fait de ne pas avoir d’enfant, par choix ou par contrainte, est un sujet très commun et pourtant si peu traité au cinéma…
C'était un mystère pour moi aussi. Mais je ne juge pas, car cela m'a pris aussi du temps de déconstruire quelque chose en moi, pour pouvoir aborder un sujet si féminin sans penser qu'il s'agissait d'un sujet mineur. Alors que c'est un sujet majeur, partagé par tout le monde, hommes et femmes. Mais, de toute évidence, l'industrie n'était pas assez diversifiée pour aborder ce sujet, pour que je me sente légitime de dire : "Donnez-moi 8 millions d'euros pour faire ce film." Même s'il en a finalement coûté quatre… Mais je crois que le temps est venu. Ce n'est pas seulement un réveil politique, cela correspond aussi à une forme d'urgence. Nous devons offrir au public des choses auxquelles il peut s'identifier, car la société est en avance par rapport au cinéma. Comme vous, je ne trouvais pas de représentation de ce personnage, de cette histoire triviale, banale, familière. Il fallait donc faire ce film.
Comment avez-vous travaillé la forme du film pour aborder ce sujet ?
Le film parle de la trace que l'on laissera si l'on n'a pas d'enfant. Qui vous enterrera quand ce sera fini ? Ce sont des sujets graves, mais je voulais le faire très poliment. J'ai senti qu'un certain classicisme était nécessaire. Et je peux le dire, parce que je ne suis pas vraiment habituée avec la modestie dans ma mise en scène, dans les outils utilisés pour styliser un film. C'est peut-être une erreur, mais je crois que, pour ce film, il fallait laisser la première place aux acteurs, aux émotions. Peut-être aussi parce que j'étais inspirée par un certain cinéma indépendant américain de la fin des années 1970 : Kramer contre Kramer, L'Usure du temps, Une femme libre de Paul Mazursky avec Jill Clayburgh, qui a vraiment fait tilt en moi pour le choix de Virginie Efira, une actrice incroyable. Il y a peut-être aussi ma cinéphilie française : Truffaut, Sautet… Des films très mélodiques. Je ne peux pas utiliser un autre mot que mélodique, car la musicalité du film est liée à la façon de raconter l'histoire. Le film se déroule de façon précise sur un an. J'avais donc besoin des saisons ; j'ai commencé par Vivaldi. J'avais des idées très simples. Je les ai essayées, ça marchait, alors je les ai gardées…

Rachel a l’air très proche de vous. Ce film semble assez autobiographique…
Plus qu'Une fille facile, c'est sûr. Mais je ressens toujours beaucoup de proximité et de familiarité avec les héros de mes films, hommes ou femmes. Mais c'est vrai qu'il y a clairement plus d'éléments autobiographiques dans ce film. J'ai été prof. J'ai la quarantaine. Je suis belle-mère. Le sujet de la maternité a été important dans ma vie. J'ai tourné ce film enceinte, alors que je ne m'y attendais plus. La personne qui joue le rôle du père, c'est mon père. La tombe sur laquelle ils prient, c'est celle de ma mère. Ça fait beaucoup… Mais il y a des raisons à cela. Ce n'est pas par manque d'imagination, c'est parce que ce film devait être fait comme ça. Après le confinement, après le Covid, j'avais besoin de quelque chose de simple. Mais le défi était justement de ne pas trop m'identifier au personnage, pour ne pas faire un objet thérapeutique. C'est intéressant pour moi, pas pour le public. Si le film touche d'autres personnes, c'est probablement parce que j'ai pu trouver cette distance. Notamment par le fait d'être enceinte pendant le tournage, qui m'a donné l'impression d'être déconnectée du sujet.
Quand vous écriviez le scénario, vous avez ressenti ce stigmate social de ne pas avoir d’enfant ?
J'étais très énervée. J'ai pensé que c'était injuste. J'ai ressenti un vertige ontologique et métaphysique. Je me sentais encore jeune, mais c'était quand même la fin de quelque chose… Je travaillais, j'étais toujours occupée. Je pense que nous faisons tous, hommes et femmes, l'expérience de cette limite. Au départ, l'idée était d'adapter un roman sur l'infertilité masculine. Mais il se trouve qu'il y a une pilule pour ça. Les hommes peuvent bander quand ils le veulent. Le monde entier s'est arrangé pour résoudre ce problème. Mais le nôtre n'est pas encore réglé… J'étais énervée. La raison pour laquelle je voulais Frederick Wiseman (grand documentariste américain, au tempérament très doux, NdlR) en caméo pour le gynécologue, c'est parce que je ne voulais pas aborder ce problème avec colère. Je me suis dit que ce serait plus déchirant d'être plus proche des obstacles intérieurs du personnage que des obstacles extérieurs. C'est pourquoi je voulais que ce gynécologue soit un "wise man", un sage…