"Sans filtre": Palme d’or à la lutte des crasses
Ruben Östlund encensé à Cannes pour une satire ravageuse, mais poussive, de l’avidité des ultra-riches.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/5fe4e627-8f76-40cd-8b84-1471638c0a7a.png)
- Publié le 28-09-2022 à 08h59
- Mis à jour le 28-09-2022 à 11h14
Couple de mannequins chouchous d’Instagram, Yaya (Charlbi Dean, mannequin sud-africaine de 32 ans décédée il y a quelques semaines à New York d’une maladie fulgurante) et Carl (Harris Dickinson) sont invités à participer à une luxueuse croisière pour ultra-riches sur un immense yacht. À bord, ils croisent un couple de vieux Anglais ayant fait fortune dans la vente d’armes, un oligarque russe fantasque et ses deux femmes, un génie de l’informatique…
Tout ce beau monde est pris en charge par un personnel aux petits soins, placé sous le commandement du capitaine Smith (Woody Harrelson), un marin américain alcoolique, comme il se doit, mais aux convictions… marxistes. La cohabitation avec sa richissime clientèle s’annonce aussi houleuse que la mer…

Deux Palmes pour Östlund
En 2017, Ruben Östlund avait décroché la Palme d'or à Cannes avec The Square, efficace comédie sur le monde de l'art contemporain - avec cette inoubliable scène de happening d'un artiste-gorille -, où il interrogeait, au passage, la bonne conscience progressiste au moment de mettre en action les idéaux que l'on défend. Il est bien là le cœur du cinéma d'Östlund, qui abordait déjà ces questions de dissonance cognitive dans Turist, son meilleur film en 2015. Avec Triangle of Sadness, on peut dire que le Suédois met à nouveau les pieds dans le plat, dans une satire radicale de l'univers des plus fortunés. Avec une seconde Palme à la clé, offerte en mai dernier par le jury de Vincent Lindon.
Problème de couples - pas facile d’accepter qu’en tant que mannequin masculin, on gagne trois fois moins que sa compagne, tout en plaidant l’égalité des sexes…-, vanité du monde de la mode, demandes excentriques des riches passagers (jusqu’aux pots de Nutella livrés par hélicoptère)… : rien n’échappe au regard acéré de Ruben Östlund, dans une farce volontairement grotesque, jusqu’à la scatologie, dans sa volonté de mettre en scène la lutte des classes, mais aussi l’hypocrisie, l’égoïsme et le cynisme ambiants.

La croisière ne s’amuse plus
Maître du rythme - il est également monteur de son film -, le Suédois signe une comédie sans temps mort de 2h30, qui provoque le rire autant que le malaise, voire le dégoût, en appuyant là où ça fait mal. Et en dynamitant le discours bien rodé du libéralisme pour justifier les inégalités. Notamment à travers ce personnage de capitaine déjanté, citant Marx, Lénine ou Chomsky à ses passagers, pour dénoncer leur cupidité, leur avidité, leur refus de participer au bien commun, en abusant de l’évasion fiscale, des paradis fiscaux et autres investissements défiscalisés dans des fondations d’art contemporain…
On l'a compris, comme c'était déjà le cas dans The Square, The Triangle of the Sadness ne fait pas dans la dentelle dans sa critique. Avec cette fois, comme moment de bravoure au milieu du film, un dîner du capitaine où la croisière ne s'amuse plus du tout…
Mais, cette fois encore, Ruben Östlund semble avoir le cul entre deux chaises, comme s'il n'était pas totalement sûr de ce qu'il pensait. Plus grave, il se repaît de ce qu'il dénonce : le cynisme. Sur le thème de la lutte des classes, Bong Joon-ho avait décroché la Palme à Cannes avec son génial Parasite , tout aussi radical, mais plein d'humanité pour cette famille pauvre s'infiltrant chez une famille riche. Le Suédois, lui, n'aime aucun de ses personnages, pas plus les riches que les pauvres, les hommes que les femmes. Tous sont crasseux, misérables, pathétiques…

Triangle of Sadness / Sans filtre Farce Scénario et réalisation Ruben Östlund Photographie Fredrik Wenzel Montage Ruben Östlund et Mikel Cee Karlsson Avec Charlbi Dean, Harris Dickinson, Woody Harrelson… Durée 2h30
