Elsa Zylberstein incarne Simone Veil : "J’ai travaillé un an pour entrer dans le rôle"
Ce mercredi, Elsa Zylberstein est à l’affiche de "Simone, le voyage du siècle". Un biopic classique de Simone Veil signé Olivier Dahan. Le rôle de sa vie pour l’actrice française.
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Publié le 12-10-2022 à 13h55 - Mis à jour le 12-10-2022 à 14h05
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Le rôle de sa vie ! Pour Elsa Zylberstein, Simone, le voyage du siècle est plus qu'un film. Après avoir rencontré Simone Veil - à qui elle remettait, en 2007, le prix Scopus lors d'une cérémonie organisée à Paris par l'Université hébraïque de Jérusalem -, l'actrice a sympathisé avec la vieille dame. Et très vite, elle s'est dit qu'elle devait faire un film sur le destin de cette femme politique majeure, qui aura marqué l'Histoire de France par la loi qui porte son nom et qui a légalisé l'avortement en 1974. Avec, évidemment, l'envie de jouer elle-même le personnage. "Mais bien sûr, c'est évident. Je voulais jouer Simone !", souriait l'actrice dans la suite d'un hôtel bruxellois le 21 septembre dernier, à la fin d'une éreintante journée de promo et avant de rejoindre l'avant-première du film d'Olivier Dahan à Bruxelles.
Combien de temps s’est écoulé entre votre première rencontre avec Simone Veil et ce film ?
Dix ans. Par moments, j'ai lâché la barre. Les maisons de production avaient peur : est-ce que la famille est d'accord ? Mais la famille sera jamais d'accord. Je suis proche d'eux. Je n'ai pas besoin d'avoir un accord… Est-ce qu'il faut les droits du bouquin ( NdlR : Une vie, l'autobiographie de Simone Veil publiée en 2007) ? Non, on n'aura jamais les droits du livre. Faites-moi confiance ! Et puis elle est morte. Je suis allée à l'enterrement et en sortant des Invalides, je me suis dit : "Je fais le film !" Après, tout s'est aligné hyper vite. Et j'ai pensé à Olivier Dahan tout de suite.
Pourquoi Olivier Dahan ? Parce qu’il avait déjà fait de grandes biographies de femmes ?
Parce qu'il avait fait La Môme et que j'avais trouvé ça remarquable. Je savais que ce ne serait pas un biopic classique, à la Wikipédia. Je savais qu'il aurait du cœur, de la vibration, de l'émotion. Il ne fallait pas se dire : c'est la statue du Commandeur. Elle était dure. C'était la femme au chignon. Erreur totale ! Je voulais quelqu'un qui rentre dans le lard, dans l'émotion de cette femme brisée, qui vient des camps, qui est multiple. Une femme dont j'avais ressenti l'humanité, la générosité, l'empathie, la compassion. Je voulais qu'il y ait tout ça.
Au-delà de la loi Veil, on apprend beaucoup de choses sur les combats de Simone Veil. Vous, qu’avez-vous appris d’elle en faisant ce film ?
Quand j'ai lu Une vie, il y a plein de choses que je ne connaissais pas. Même l'anecdote avec le garçon qui a le sida, je ne la connaissais pas. Le fait qu'elle ait décidé de ne pas faire le journal de 20 h pour rester auprès de lui, pour moi, ça prouve tout. Ça prouve que ce n'est pas une femme politique comme les autres. Une femme politique aurait dit : je prends deux secondes avec lui, mais ce qui est important, c'est de me montrer. Mais elle ne fait pas. Je pense qu'elle s'écroule. Ça la renvoie à ce qu'elle a vu au camp et c'est insupportable. Ça prouve toute son humanité et sa compassion. Ce n'est pas une femme politique. C'est une femme qui s'est engagée en politique pour changer la vie des gens, qui porte des combats avec virulence, passion et acharnement.
Simone Veil est une femme politique très contradictoire. Beaucoup de ses combats - prison, avortement, sida… - sont plutôt de gauche, mais elle est toujours restée fidèle à la droite…
Carrément ! Ses engagements sont des engagements de gauche. C’est une femme qui s’engage pour le respect de la dignité humaine et contre l’injustice, parce qu’elle vient de là d’où elle vient. Je pense que, quand on a vu l’horreur au camp, quand on vient du monstrueux et de l’ignominie, on se bat pour que les gens soient respectés.
Quelle pression avez-vous ressentie à l’idée d’incarner ce monument de la vie politique française, entré au Panthéon en 2018 ?
Je n’ai pas voulu qu’il y ait de pression. Je l’ai abordée comme un personnage. Mais j’ai travaillé pendant un an pour entrer dans le rôle. J’ai marché avec ses chaussures. J’ai écouté toutes les interviews, toutes les émissions de télé de 35 à 87 ans. J’ai étudié chaque respiration, chaque battement de cils, chaque geste, chaque avalage de salive, chaque pose, chaque mouvement. Il fallait que ça devienne une seconde nature. Je ne voulais pas que ce soit une imitation ; je voulais que ce soit intégré à mon corps. Que quand le maquillage et l’intime se rejoignent, cela fasse un truc parfait.
Le maquillage sert notamment à vous vieillir à la fin du film. C’est difficile de se voir en vieille dame à l’écran ?
Non ! On aurait pu m'en mettre encore plus ! Je voulais encore un double menton ! J'étais ravie. J'avais dit à Olivier : "Je ne le fais pas à la française. Je ne fais pas Simone Veil avec mon visage ; elle a un visage trop connu…" J'ai appelé le maquilleur qui a transformé Gary Oldman en Churchill dans Les Heures sombres, mais c'était trop cher… Même à 35 ans, je ne voulais pas que ce soit mon visage. Il fallait que je me remplisse un peu. J'ai donc pris neuf kilos pour le rôle. Et puis on a commencé à travailler sur mon visage. J'ai eu quatorze moulages. Quand Christian Bale joue Dick Cheney dans Vice, il n'a pas de problème pour se vieillir. Pourquoi j'en aurais ? Et à l'écran, je ne me vois pas moi. Ce n'est pas moi, c'est Simone. C'est valable pour tous mes rôles. Je donne tout. Je veux disparaître derrière le rôle.
Après tout ce travail pour incarner Simone Veil, reste-t-il quelque chose d’elle en vous ?
Oui. C'est une femme qui force le respect. Plus je lisais, plus je voyais des interviews, plus je découvrais par quoi elle était passée, plus je me disais : "Quelle leçon !" J'avais tellement incarné ça que, dans tout ce que je devais vivre dans ma vie - et j'ai vécu des choses très dures pendant le film -, elle m'a donné du courage…
Simone Veil était juive, mais se disait très laïque… Vous vous sentez proche d’elle en cela ?
Sur la judéité, la laïcité, on va dire oui. C’est l’Histoire qui rend Simone Veil juive, vraiment. Moi, ma mère était catholique, je ne suis pas juive. Mais c’est vrai qu’avec mon nom, on se dit tout de suite que je dois faire shabbat. C’est la projection des gens… Pourtant, à part aller à la synagogue à Kippour avec mon père… Et encore, je ne le fais presque plus. Mais oui, mon père est juif ; il raconte des histoires juives tout le temps. Et puis mes grands-parents ont été à Treblinka. Chez ma grand-mère, le dimanche, il y avait toujours des amis avec des numéros sur les bras… J’ai quand même été baignée là-dedans.
Vous espérez que ce film puisse faire découvrir Simone Veil aux jeunes ?
Tellement ! Hier, il y avait une projection avec 350 personnes à Lille. Il n’y avait que des jeunes entre 20 et 25 ans. Ils hoquetaient, tremblaient, étaient emplis d’émotion. C’était magnifique à voir. Ma grande fierté, ce sera que les jeunes aillent voir ce film. Un film, c’est une manière de rentrer dans l’Histoire et de voir que tous les combats de Simone Veil sont actuels. Que ce soit la bataille pour l’avortement, avec le retour en arrière aux États-Unis ou en Pologne. Ou la bataille sans fin pour l’Europe, l’immigration, les démunis et contre l’injustice, l’extrême droite, le fascisme… Quand tu lis certains discours, certaines voix off que je dis dans le film, on dirait qu’ils ont été écrits avant-hier…
"J’adorerais bosser avec les Dardenne"
Elsa Zylberstein a commencé sa carrière d'actrice à 20 ans, incarnant, face à Jacques Dutronc, une jeune prostituée dans Van Gogh de Maurice Pialat en 1991. Une première expérience qui marquera à jamais l'actrice. "Pialat m'a marquée au fer rouge. C'est un second rôle, mais ça a marqué. Et le film est un chef-d'œuvre. Commencer avec Pialat, ça a été le cadeau de ma vie. Je pense à lui avant chaque clap de cinéma !", confie l'actrice.
Ces débuts avec l'un des metteurs en scène français les plus exigeants de sa génération ont façonné une certaine vision, exigeante, du cinéma chez Elsa Zylberstein. "Plus ça va, plus j'ai envie de faire des films engagés, plus j'ai envie de travailler avec des grands cinéastes, de faire des choix exigeants, explique-t-elle. Je ne regrette aucun choix, aucune comédie que j'ai faite. Mais c'est vrai que tu n'as pas tous les jours Van Gogh de Pialat… Vous, vous avez les Dardenne, qui sont des grands cinéastes. J'adorerais bosser avec eux un jour ! J'adore ce qu'ils font ! Moi, ce que j'aime, c'est rentrer dans les univers de différents cinéastes. J'ai toujours roulé pour les cinéastes. J'adore ça !"
Et l'actrice défend bec et ongles l'expérience de la salle de cinéma. Ce qu'elle recherche, c'est à être bouleversée, comme face à La Leçon de piano de Jane Campion par exemple. "Est-ce que vous avez été ému, une fois, en regardant une série ? Pas moi. J'ai vu quelques séries, comme Euphoria ou The Crown, que j'ai adorées, mais je n'ai pas été émue. Au cinéma, c'est différent, on est ensemble devant un grand écran. Et voilà avec Simone un grand film de cinéma qui, j'espère, va pouvoir réunir les gens…"
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Prêt depuis plusieurs mois déjà, Simone, le voyage du siècle débarque sur nos écrans ce mercredi. Olivier Dahan, l'auteur de La Môme, sur Edith Piaf, et de Grace de Monaco, ne surprend guère avec ce biopic assez classique de Simone Veil (1927-2017), qui retrace une vie de combat au service des autres. À l'origine du projet, Elsa Zylberstein s'est totalement impliquée dans son rôle pour rendre hommage à la rescapée d'Auschwitz-Birkenau, campée, jeune dans le film, par l'excellente Rebecca Marder.