"Holy Spider" : polar noir, poisseux et glaçant sur la condition des femmes en Iran
Ali Abbasi signe un impressionnant conte à la lisière entre réalisme et fantastique qui avait décroché le prix Un certain regard à Cannes.
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Publié le 26-10-2022 à 14h45
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Holy Spider est l'un des films qui aura marqué le dernier festival de Cannes. Iranien exilé au Danemark depuis 20 ans, Ali Abbasi y revient sur un fait divers réel : l'histoire de Saeed Hanaei, un tueur en série de prostituées - qu'il étranglait à l'aide de leur foulard - qui opéra à Mashhad de 2000 à 2001.
Alors que les cadavres continuent de s'entasser, Rahil, une journaliste de Téhéran (Zahra Amir Ebrahimi), débarque dans cette ville sainte iranienne, lieu de pèlerinage autour du mausolée de l'imam Reza, pour mener, avec un collègue, sa propre enquête sur cette série de meurtres. De leur côté, les autorités locales ne semblent pas pressées de mettre la main sur cet assassin qui prétend agir au nom de Dieu, pour nettoyer les rues de Mashhad de ces "femmes corrompues"…
Thriller redoutablement efficace
Ali Abbasi s'était fait connaître en 2018 avec son deuxième long métrage Border , impressionnant conte à la lisière entre réalisme et fantastique qui avait décroché le prix Un certain regard à Cannes. Avec Holy Spider, le cinéaste ne quitte pas le genre, signant un polar noir d'encre qui dissèque les rapports hommes-femmes dans son pays d'origine.
Tournée en Jordanie, cette coproduction européenne (entre le Danemark, la Suède, la France et l'Allemagne) propose une exploration sans concession de la condition des femmes dans la société iranienne. Construit comme un thriller hollywoodien - avec ce personnage de journaliste menant l'enquête face à un tueur à la lisière de la folie -, Holy Spider est un thriller diablement efficace. Qui suit en parallèle le travail d'enquête de l'héroïne et le quotidien de ce tueur ordinaire, vétéran de la guerre contre l'Irak, bon mari et père de trois enfants qui pense, grâce à ses activités nocturnes, donner un sens à sa vie…
Féminicides et misogynie institutionnelle
Ce que met en scène Ali Abbasi, ce ne sont rien d’autre que des féminicides purs et simples mais qui, pourtant, ne sont pas vus comme tels par une partie de la population et même par les autorités de Mashhad. Lesquelles ne voient finalement pas d’un si mauvais œil que quelqu’un se décide à vider les rues de ces prostituées, souvent droguées à l’opium, dont elles ne savent pas quoi faire…
Dans une telle société patriarcale, profondément religieuse, où la misogynie est un état de fait (pas que pour les hommes…), pas facile pour une journaliste (campée par la Franco-Iranienne Zahra Amir Ebrahimi, primée à Cannes) de se faire respecter… Et comme dans Border, Ali Abbasi se fait en effet profondément dérangeant - jusque dans certaines scènes ultra-violentes très dures - pour dénoncer la façon dont l'Iran considérait les femmes il y a 20 ans, au moment des faits historiques. Mais peut-être aujourd'hui encore, comme le sous-entend le cinéaste à la fin du film. Radical dans sa dénonciation, Holy Spider ne risque pas de sortir dans les salles de Téhéran…
Holy Spider / Les Nuits de Mashhad-Film noir- De Ali Abbasi - Scénario : Ali Abbasi et Afshin Kamran Bahrami - Musique : Martin Dirkov - Avec Zahra Amir Ebrahimi, Mehdi Bajestani, Sina Parvaneh, Sara Fazilat… Durée 1h55.
