Angelo Badalamenti, l’homme qui mettait en musique les visions de David Lynch, est mort
Il avait 85 ans. Malgré une filmographie riche, qui remonte aux années 1970, il reste associé au réalisateur de “Blue Velvet” et “Mulholland Drive”.
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Publié le 13-12-2022 à 09h29 - Mis à jour le 13-12-2022 à 10h16
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Son nom est à jamais lié à celui de David Lynch. Angelo Badalamenti, le célèbre compositeur des films Blue Velvet et Mulholland Drive et de la série Twin Peaks est mort dimanche 11 décembre de causes naturelles. Il avait 85 ans.
Depuis Blue Velvet, Angelo Badalamenti était l’homme qui mettait des notes sur les images mentales du réalisateur de Mulholland Drive (qui ressort en Belgique le 21 décembre) – qui n’a jamais entendu la musique du générique de Twin Peaks et la complainte Nightingale susurrée par Julee Cruise dans un épisode de la même série ?
Né en 1937 à Brooklyn, Angelo Badalamenti est arrivé au cinéma tardivement, en 1974. Mais la rencontre cruciale avec Lynch ne se fait qu’en 1986, quand Badalamenti est appelé à la rescousse sur le tournage de Blue Velvet pour coacher au chant Isabella Rosselini. Suivront six films, la musique envoûtante de Twin Peaks et un spectacle, Industrial Symphony n°1, en 1990.
Leur collaboration était presque symbiotique : “Je m’assois avec Angelo et je lui parle d’une scène, et il commence à jouer ces mots au piano”, se rappelait David Lynch pour le New York Times en 2005 pour expliquer comment le duo faisait de la musique. “Les visuels de David sont très influencés par la musique, expliquait également au quotidien new-yorkais le compositeur. Le tempo de la musique l’aide à définir le tempo des acteurs, de leurs dialogues et de leur façon de bouger. Il s’asseyait à côté de moi au clavier et me décrivait ce qu’il pensait pendant que j’improvisais la partition. La quasi-totalité de Twin Peaks a été écrite sans que je voie une seule image, du moins dans le pilote.”
Mais Badalamenti a aussi composé pour Paul Schrader (The Comfort of Strangers est son film favori), fait des incursions en Europe (pour Jean-Pierre Jeunet sur Un long dimanche de fiançailles, et, même, le Belge Dominique Deruddere sur Wait until Spring, Bandini), et œuvré avec les Pet Shop Boys, Marianne Faithfull (qui lui a remis un prix au Festival de Gand en 2008) ou Siouxsie and the Banshees, pour The Edge of Love. En 2014, il avait encore signé de nouvelles partitions pour Twin Peaks : The Missing Pieces de son ami “David”.
Lors des Jeux olympiques d’été de 1992 à Barcelone, son Torch Theme accompagnait la flèche d’un archer qui enflammait la vasque olympique durant la cérémonie d’ouverture
En 2008, le Festival de Gand avait salué par un prix l’ensemble de la carrière de ce compositeur. Nous l’avions rencontré à cette occasion pour évoquer ce parcours, atypique. Autoportrait posthume.
Les années de formation : “J’ai grandi dans un environnement musical très riche. J’ai été initié aussi bien à la musique classique qu’au jazz. Mon frère était un trompettiste de jazz, qui jouait dans le style de Miles Davis. Je l’ai souvent vu à la maison improviser avec des amis. J’allais dans les clubs de danse latino-américains. J’écrivais aussi de la musique dans le style de Kurt Weill.”
Les années 50-60 : "Ma seule ambition durant ces années-là était de survivre (il rit). Je venais d’être diplômé de la Manhattan School of Music. J’ai toujours aimé écrire de la musique, surtout des partitions instrumentales, mais comment faire, je n’avais pas de plan de carrière. J’ai donc démarré en tentant d’écrire quelques chansons qui pourraient avoir du succès. C’était une époque encore très ouverte de ce point de vue. Mais même si je ne pensais pas encore au cinéma comme carrière, lorsque j’allais voir des films, j’étais plus attentif à la musique qu’au film. Sans doute que ça me travaillait déjà. J’ai donc commencé en écrivant pour des chanteuses soul comme Nina Simone, Shirley Bassey, Nancy Wilson, etc. En toute logique, j’ai composé ma première musique de film pour un film de 'Blaxploitation, Gordon’s War, en 1974. C’était plus rythmé que ce que j’ai fait pour David [Lynch] !”
Twin Peaks : “La musique de Twin Peaks occupe encore une place à part, indépendamment de la série. C’est dû, je crois, au fait que David m’a décrit ce qu’il comptait filmer. Parce qu’il n’avait pas encore filmé la moindre image de la série quand j’ai composé les premiers morceaux pour la série. C’était juste après Blue Velvet, il est venu me voir en me parlant de ce projet de série. On s’est assis derrière mon Fender Rhodes et David a commencé à me décrire l’ambiance de la série, ses images fortes, et moi je traduisais ses pensées, ses envies, en notes. Et j’ai commencé à jouer ce qui allait devenir Laura’s Theme. Et il m’a dit : “Angelo, c’est magnifique, ne change pas une note. Tu l’as.” Il me dit ça souvent : ne rien changer. Parfois, j’essaie de le tromper, en retravaillant un petit peu. Mais c’est impossible de tromper l’oreille de David.”
Éclectisme : “Quand vous êtes compositeur, vous pouvez écrire dans n’importe quel genre musical pour autant que vous aimez ce style. Mais le plus important pour moi, quels que soient le film et le style musical choisis, c’est de respecter ce que j’appelle l’identité sonore de l’œuvre. C’est la raison pour laquelle, je crois, que peu importent les genres utilisés, les gens reconnaissent d’une certaine façon mon style. Dans les interstices d’une mélodie, il y a des petites choses. Ce sont ces petites choses, ces petites notes, qui personnalisent un morceau. Et j’adore travailler là-dessus.”
Collaborations : “Tout dépend des gens. J’ai par exemple travaillé avec Walter Salles [Dark Water] de la même manière qu’avec David. Il est venu chez moi et m’a décrit le film. Dans d’autres cas, j’ai les images sous les yeux et je travaille seul, avant de soumettre la composition au réalisateur, et puis on collabore lors de l’enregistrement. Mais j’avoue préférer partir de zéro, en ayant le réalisateur à mes côtés, qui me décrit ses sentiments à propos du film.”
Un esprit jeune : “J’ai travaillé avec Marianne Faithfull, les Pet Shop Boys, le groupe trash-rock Anthrax ou Tim Booth (du groupe James). J’adore ça. Et j’adore les accompagner pour la promo de leurs albums, faire les exclusivités radio, tout ça. Je me sens comme un jeune Beatle. On me dit toujours que je reste jeune d’esprit. Je crois que je le suis. J’ai besoin de changer d’univers, de rester curieux.”