Le premier Onéguine du baryton Stéphane Degout: "Ce sera ma première fois sur scène en russe, mais je lui tourne autour depuis quelques années"
La Monnaie donne à partir du 29 janvier le chef-d’œuvre de Tchaïkovsky. Adapté de Pouchkine, ce drame est un dessin au fusain des enjeux de l’amour dans l’aristocratie russe.
Publié le 30-01-2023 à 14h18
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Il est l’un des chanteurs d’opéra les plus attendus dans un nouveau rôle. Stéphane Degout est d’autant plus sollicité par les maisons d’opéra que sa réputation d’infaillibilité le précède. Ce sera son premier Eugène Onéguine de Tchaïkovsky, emploi réputé facile à chanter, mais dont l’élan et le souffle lyrique appellent un investissement d’acier trempé.
Est-ce qu’Eugène Onéguine est un rôle comme un autre ?
Oui et non. Le genre “opéra” est constellé de personnages insaisissables. En ce sens, Onéguine est étrange, comme les autres, car on ne connaît jamais réellement ses motivations. Au début de l’œuvre, on le trouve à la campagne où, ayant fui la cour de Saint-Pétersbourg, il espère se refaire une santé financière. Il traîne avec Lensky, qu’il ne considère ni plus ni moins que comme “un ami pour tuer le temps” (Pouchkine) mais dont il aime la sensibilité artistique. Lensky est en couple avec Olga ; c’est lors d’une visite dans la famille de celle-ci qu’Eugène va rencontrer Tatiana.
Et ensuite ?
Le cœur de Tatiana chavire, elle se déclare dans une lettre enflammée qui est aussi l’un des plus beaux passages de l’œuvre. Eugène la retrouve et la prend un peu de haut ; il aimerait – dit-il – qu’elle oublie ces sentiments effusifs, qu’elle revienne à un peu plus de pudeur (nous sommes au XIXe siècle !) et, en somme, il la plante là, avec une moue d’autosatisfaction. Est-il sincère ? Se moque-t-il d’elle ? Je l’ignore.
Il y a dans cette œuvre une césure spectaculaire.
Onéguine, pris de boisson, entreprend de séduire Olga. Lensky le provoque en duel. Les deux amis se mettent en joue dans un moment très solennel. Lensky chante un air sublime et meurt. Eugène prend la fuite, car c’est ce qu’on faisait quand on tuait quelqu’un. À l’acte III, plusieurs années ont passé. Onéguine assiste à une fête, cynique et désespéré. Il tombe sur Tatiana. La jeune fille n’est plus une petite aristocrate de la campagne, mais une dame du monde. Eugène se jette à ses pieds, la supplie, lui récite des passages entiers de sa lettre – les a-t-il retenus ? – c’est lui qui, désormais est fou amoureux. Mais Tatiana n’est plus libre. C’est ainsi que se termine l’œuvre, sur cette déconfiture du séducteur contrarié, dont on ne sait pas vraiment s’il a le cœur brisé par caprice ou s’il crève d’amour. Il a 26 ans, mais il est totalement seul au monde.
L’œuvre est adaptée de Pouchkine…
Oui. Une chose me glace le sang : Pouchkine mourra dans un duel, quelques années plus tard, exactement comme son personnage. Dans ce roman en vers, on comprend à quel point tout, dans cette société russe, repose sur des codes, qui sont ceux de l’aristocratie des villes, de la noblesse des campagnes.
C’est la première fois que vous chantez cette langue ?
Oui et non. Je devais chanter ce rôle à Toulouse à la veille de la pandémie. La production a été annulée. Je devais aussi chanter dans La Dame de Pique à la Monnaie, mais la production a été annulée. J’avais aussi prévu de chanter des mélodies de Tchaïkovsky, mais les récitals ont été annulés. Donc oui, ce sera ma première fois sur scène dans cette langue, mais je lui tourne autour depuis quelques années. J’ai étudié mon rôle phonétiquement, je profite des vocables de cette langue réputée idéale pour le chant. Le rôle n’est d’ailleurs pas très difficile, Tchaïkovsky l’a composé pour un étudiant du Conservatoire, le péril est peut-être de trouver trop de confort dans cette langue.
Un mot sur le travail du metteur en scène Laurent Pelly ?
Son travail investit la question du rêve : ce qui survient sous nos yeux, est-ce la réalité, ou est-ce la projection du désir de Tatiana ? Laurent Pelly, avec qui je travaille depuis plus de vingt ans, n’est pas un intellectuel, mais un sensible (un sensible intellectuel, à dire vrai), en ce sens qu’il interroge énormément la musique. C’est dans l’écoute qu’il cherche ses réponses. Il nous demande souvent de rechanter tel ou tel passage et, clairement, les réponses lui viennent de là. Il lui arrive aussi, après avoir entendu chanter un collègue de dire “je ne peux rien faire, c’est parfait, si je modifie quoi que ce soit, je vais tout gâcher”. C’est une méthode qui ne s’encombre pas des breloques de la psychologie ; il travaille en écoutant et en interrogeant le regard de ses chanteurs.