Alice Pol, de l’énergie à revendre
À 40 ans, la comédienne française tente de concilier hyperactivité et hypersensibilité, suscitant une hypersympathie.
Publié le 05-02-2023 à 11h23
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Le geste est discret. Elle tapote sur les petits sachets de sucre posés à côté de sa tasse de thé… Dans sa tête, elle compte. Un, deux, trois. Tout va bien. Trois et pas deux. Sinon, il aurait fallu en demander un supplémentaire au serveur. Alice Pol déteste les paires. Alors, elle compte. Tout le temps. Capable de faire trois fois le tour d’un rond-point après avoir raté sa route. Dans son sac, il y a un trèfle à quatre feuilles. Autour de son cou, une petite médaille offerte par une amie corse qui chaque année lui enlève le "mauvais œil". Médaille qu’elle ne peut quitter, et qu’elle coince dans son soutien-gorge ou qu’elle glisse dans sa culotte lors d’un tournage. Elle raconte cela en se marrant avec une simplicité déroutante.
Une simplicité qui ne l’absout pas d’une complexité intéressante à scruter. Sans vouloir la contrarier, la comédienne affiche deux principaux traits de caractère. Une hyperactive dotée d’une hypersensibilité.
L’hyperactive
Depuis 2007, pas une année de cinéma sans sa bouille et ses yeux noirs rieurs sur les écrans. Aux quelques apparitions dans des séries télé comme Plus Belle la Vie ont succédé une pièce de théâtre dont elle est l'autrice, C'est tout droit… ou l'inverse, une pub Ikea réalisée par Pascal Chaumeil qui la rappelle pour le long-métrage Un plan parfait. Elle joue alors aux côtés de Dany Boon. Ce dernier lui offre deux autres rôles dans des comédies. Tout s'enchaîne très vite. Dans son dernier film (sorti le 1er février en Belgique), Un petit miracle, comédie signée Sophie Boudre, elle incarne Juliette, institutrice dans un village, obligée de délocaliser sa classe dans un Ehpad. "Elle ressemble au personnage. Une femme terrienne, douce et ferme à la fois, un peu rigolote, qui ne prend pas les choses au sérieux", raconte la réalisatrice. De l'école, Alice Pol garde un mauvais souvenir. Une suite de déceptions comme ce premier jour de maternelle : "Pendant un spectacle de marionnettes, je voyais très bien la femme qui manipulait les pantins. Je me suis demandé si les adultes allaient nous prendre pour des imbéciles encore longtemps." Et pourtant, elle ajoute presque de façon paradoxale : "Je rêvais tant d'être adulte. Désormais, je passe ma vie à chercher une part d'enfance et à faire semblant de ne pas savoir."
Les parents - le père est chirurgien à la retraite, la mère, infirmière un temps, ne travaille plus -, ont compris que l'aînée de cette fratrie de trois sœurs n'aimait guère les études. À 13 ans, premiers cours de théâtre à Marseille où elle a grandi, et les premiers castings qu'elle passe sans rien dire à qui que ce soit. À 18 ans, elle quitte le Sud pour rejoindre Paris et tenter sa chance. Une vie de petits boulots rythmée par les essais pour des séries et des films sur lesquels elle ne s'appesantit pas. "C'est étrange mais la déception après un échec à un casting ne durait jamais. De l'abnégation, du courage, j'en ai eu. De la résilience aussi. Et surtout de l'intuition", analyse-t-elle. Son énergie, son sens du rythme, son côté solaire séduisent les réalisateurs de comédie. Alice Pol ne calcule rien. Accepte les projets quand l'histoire lui plaît. Avale des kilomètres de scénarios. Se déplace d'un tournage à l'autre sans jamais se plaindre. "Je fais preuve d'une hyperactivité, sans doute pour combler quelque chose. Une façon peut-être d'éviter toutes ces questions existentielles qui m'animent depuis que je suis enfant."
L’hypersensible
Être en mouvement, et surtout être là pour les autres. Un regard triste dans un métro, une moue sur le visage d'une maquilleuse, une remarque déplaisante d'un partenaire la plombent. Elle imagine ne pas avoir été assez attentive à l'autre. Cela l'insupporte. En retour, elle redouble de prévenance espérant ne jamais décevoir autrui. Alors qu'on lui demande si cet excès d'empathie ne conduit pas à une forme d'épuisement, elle répond : "J'aime l'excès. Être dans une phase de travail intense, puis laisser le temps filer. J'ai horreur de l'entre-deux, je déteste les petites journées de tournage par exemple." Confirmation du réalisateur Fabrice Maruca qui l'a dirigée dans Si on chantait : "Alice ne peut pas attendre sur une chaise. Faut que ça aille vite. Tourner, tourner, et encore tourner. Et parfois, elle disparaît, on ne sait pas où elle est." Sans doute dans un coin, seule, à réfléchir.
L'euphorie des tournages et des sollicitations médiatiques terminées, elle se réfugie dans son cocon varois… Alice Pol a déserté Paris il y a déjà quelques années. Les premiers cachets lui ont permis d'acheter un premier bien à Marseille. Avant d'acquérir une maison près de Brignoles, en pleine campagne. Dans cet îlot de verdure peuplé de chiens, de chèvres et de moutons où elle vit seule, et parfois accompagnée (on n'en saura pas plus), elle se perd dans ses pensées, canalise son trop-plein d'énergie, et écrit. L'impatiente change alors de rythme, s'assoit de façon un peu tordue sur sa chaise dans sa cuisine salle à manger face à la nature : "Quand j'écris, je n'aime pas être dans le confort. J'ai besoin d'être bancale. Je recherche cette sensation de l'enfance, quand tu traînasses, et qu'une forme d'ennui naît. Ça m'aide à créer." Avec émotion, elle annonce la sortie d'un prochain roman.
Peut-être faut-il alors imaginer Alice Pol un brin mélancolique… Dansant dans son salon, écoutant de la musique en permanence, chantonnant Banlieue rouge ou Son bleu de Renaud dont elle connaît le répertoire par cœur. Ou encore Marchand de cailloux, "parce qu'il faut que je cite trois titres, et pas deux"… Ses rites conjuratoires nous amusent, elle en joue sûrement. Elle ne rechigne pas à parler de cette forme de spiritualité, d'actualité ou de politique, et reconnaît qu'il y a une dizaine d'années, son vote était écolo. Aujourd'hui, alors que l'environnement est plus ou moins pris en compte par la plupart des partis, elle hésite devant l'urne, en évitant les extrêmes.
À 40 ans, elle dit avoir compris deux choses. "Mon agent m'a dit : "Arrête de vouloir racheter tout le monde", et je l'ai entendu. Et je commence à voir mes qualités. Mon énergie notamment." On ajouterait volontiers une bienveillance rare et une drôlerie permanente. Elle se rêve réalisatrice, on se la figure dans un one-woman-show dans lequel elle raconterait sa voiture aux allures de poubelle avec des restes de saucissons et autres bonbecs, son amour pour l'OM, ce maillot signé Papin qu'elle garde en guise de porte-bonheur, et cette fois où elle est arrivée à l'école le mauvais jour, déguisée en coquelicot. On s'est quitté en se faisant deux bises… Deux. Après lui avoir fait remarquer, réponse d'Alice Pol : "Oui, mais ça marche. C'est une joue après l'autre. Une, puis une."