“Ici, vous êtes abandonné de tous, sauf de Dieu. Mais Dieu n’existe pas…”
En salles ce mercredi, “Godland” est un film époustouflant, un voyage métaphysique dans l’Islande du XIXe siècle, aux côtés d’un jeune pasteur danois idéaliste.
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Publié le 22-03-2023 à 09h11 - Mis à jour le 22-03-2023 à 11h09
Présenté en sélection officielle du 75e Festival de Cannes, dans la section Un Certain regard, Godland d’Hlynur Pálmason est l’un des films qui a frappé la Croisette en mai 2022. À 38 ans, le cinéaste islandais signe un troisième long métrage visuellement époustouflant, qui nous plonge dans la nature sauvage de l’Islande de la fin du XIXe siècle, aux côtés de Lucas, un jeune pasteur danois, et de Ragnar, son guide local.
Godland s’ouvre sur un “truc” de scénariste. Dans un vieux coffre, on aurait découvert sept plaques photographiques, offrant parmi les plus anciennes photographies de l’Islande… “Je savais que Lucas porterait cet énorme appareil photo sur le dos. J’ai beaucoup réfléchi aux photos qu’il pourrait prendre. Au début du film, il y a ce long dialogue entre les prêtres, où on vous dit tout ce qui va se passer. Je voulais un peu la même chose avec les photos. On vous en parle et puis vous allez les voir. Et vous allez découvrir ce qui se cache derrière ces photos, les circonstances dans lesquelles elles ont été prises… Cette idée m’a accompagné durant toute l’écriture. J’ai trouvé que ça créait une bonne énergie, que c’était une chouette entrée en matière”, nous expliquait Hlynur Pálmason à Cannes.

Un travail au long cours
Dans Godland, le cinéaste met en scène la tension qui ne cesse de monter entre ces deux personnages principaux. “Le film est basé sur la mauvaise communication. J’ai beaucoup travaillé sur les oppositions entre pays, cultures, langues… Et certaines querelles ont fini par surgir entre certains personnages. Je ne savais vraiment pas où ça allait me mener… En fait, j’ai été surpris de ce qui se passe entre Lucas et Ragnar. Je ne pensais pas que ça irait si loin… Je crois que c’est arrivé car le processus d’écriture et de recherches a été très long. Comme certaines scènes saisonnières avec Lucas dans le paysage, qui ont été tournées sur deux ans…”
Cette longue période durant laquelle Hlynur Pálmason a réfléchi et tourné son film est consubstantielle à sa façon de travailler. “J’adore faire ça. J’ai une caméra 35 mm dans le coffre de la voiture, je filme de temps en temps, au gré de mes pérégrinations… C’est une façon de me rappeler que je suis cinéaste, que je suis en train de faire un film. Il n’est peut-être pas encore financé, cela ne donnera peut-être rien, mais je me sens cinéaste… Je travaille toujours sur plusieurs projets en parallèle, sur de longues périodes”, explique le réalisateur.
Dans le film, on peut par exemple voir une carcasse de cheval se désintégrer un fil du temps. Il s’agit d’un écho à l’un de ses travaux de photographe où, sur deux ans, il a régulièrement photographié le corps en décomposition d’un cheval de sa famille, retrouvé mort… “Je l’ai donc filmé pendant deux ans, tout en écrivant Godland… Toutes ces choses se fondent les unes dans les autres. Si j’écris sur un voyage, je lis beaucoup de livres de voyage et j’essaie de voyager moi-même, notamment à cheval, pour voir ce qui se passe, comment on prépare le café… Il y a plein d’idées qui émergent et cela rend l’écriture plus agréable.”

Jeu des contraires
La rivalité, teintée de haine, qui se joue entre Lucas et Ragnar est le reflet de l’opposition entre le Danemark civilisé et l’Islande paysanne, qui n’a acquis son indépendance que durant la Seconde Guerre mondiale. “Les choses ont changé rapidement ensuite, mais à cette époque, vers 1870, l’Islande n’était guère en contact avec le monde moderne. Elle était encore très en retard… ”, explique le réalisateur. “Il y avait aussi du racisme. À cette époque, beaucoup de bateaux faisaient l’aller-retour entre les deux pays. J’ai lu des journaux de capitaines ou de membres d’équipage danois, qui décrivaient les Islandais en les regardant de haut, estimant qu’ils puaient, que leurs vêtements étaient sales… D’autres récits de voyage sont beaucoup plus positifs. Cela dépend probablement du moment où les gens voyageaient, de la météo qu’il avait eue, des gens qu’ils avaient rencontrés… Ça allait vraiment dans les deux sens : tantôt très positif, tantôt très négatif. C’est ce que j’ai essayé aussi de faire avec ce film, en dépeignant les Danois et les Islandais à la fois bons et mauvais… ”
Une terre sans Dieu
Godland, le titre international du film (qui signifie la terre de Dieu), est assez ironique, dans la mesure où ce que décrit le cinéaste dans son film, c’est une terre sauvage, abandonnée de Dieu, où ce jeune pasteur finit par remettre en cause sa foi. “Je ne l’utilise pas dans le film, mais j’avais toujours en tête cette citation d’un livre islandais, qui dit à peu près : ‘Ici, vous êtes abandonné de tous, sauf de Dieu. Mais Dieu n’existe pas…’, confie Pálmason. C’est ce que j’ai ressenti tout du long pour le personnage de Lucas. Les titres danois, islandais et international veulent tous dire quelque chose de différent. Le titre islandais, Volaða land, vient d’un poème de Matthías Jochumsson, qui a vécu au Danemark, avant de rentrer vivre dans le nord de l’Islande, où il a connu un hiver terriblement rude. Les fjords n’ont pas dégelé pendant deux ans ! De cette expérience, il a tiré une diatribe où il exprimait sa détestation de l’Islande, qui a été publiée malgré lui. Pour rentrer en grâce, il a dû ensuite écrire un poème d’amour à l’Islande… Volaða land signifie le pays rude, qui ne pardonne pas…”

Bio express : Hlynur Pálmason
Né le 30 septembre 1984 à Hornafjörður, un petit fjord au sud-est de l’Islande, Hlynur Pálmason est, comme son film, partagé entre l’Islande et le Danemark. C’est en effet à Copenhague qu’il a fait ses études, à l’Ecole nationale du cinéma du Danemark, où ont été formés des cinéastes comme Bille August, Lars von Trier, Susanne Bier, Niels Arden Oplev ou Lone Scherfig.
Après avoir réalisé plusieurs courts métrages, Pálmason présente son premier long, Winter Brothers, au festival de Locarno en 2017, puis à Toronto, où ce drame sur la masculinité et la solitude reçoit un accueil chaleureux de la presse. L’Association de la critique danoise lui décernera d’ailleurs deux de ses Bodil Awards annuels, ceux du meilleur film danois et de la meilleure photographie pour Maria von Hausswolf (qui signe également la photo de Godland). Winter Brother s’imposera également aux Robert, les César danois, avec pas moins de huit prix, dont meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure photo et meilleur acteur pour le jeune Elliott Crosset Hove.
Sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes en 2019, le deuxième long métrage de Pálmason, Un jour si blanc, porté par l’impressionnant Ingvar E. Sigurðsson, sera ensuite le candidat islandais à l’oscar du meilleur film étranger.
Trois ans plus tard, le troisième long métrage Godland était en sélection officielle à Cannes, à Un Certain Regard. Le cinéaste y retrouve ses deux acteurs fétiches, Crosset Hove et Sigurðsson, qu’il avait déjà confrontés dans son court métrage A Painter en 2013.

Le format 1,33 : 1, au plus proche de la poto
Tourné en pellicule 35 mm, Godland opte pour un format à l’ancienne, le format académique 1,33 : 1, proche du 4/3 des anciennes télévisions. Un choix a priori contre-intuitif quand il s’agit de filmer les paysages sauvages islandais. “Mon film précédent, Un jour si blanc, utilisait un format plus large, le Super 35. Il y avait des choses que j’aimais, d’autres qui m’irritaient. J’avais notamment beaucoup de mal à m’approcher du visage… Pour Godland, je savais qu’il y aurait beaucoup de paysages, mais je savais aussi que je devais partir du paysage pour aller au plus près des visages à certains moments clés. J’ai donc commencé à tester différentes choses et je suis juste tombé amoureux de ce format, que je trouve très beau, explique le cinéaste. J’ai vraiment utilisé tout l’espace du négatif, même les bandes noires qui l’entourent. On peut vraiment voir les contours de la pellicule. Ce cadre, ces courbes ont quelque chose de presque féminin, cela ressemble aussi à une photographie. Au montage, c’est un peu plus rude car, à chaque coupe, l’image est légèrement différente. Mais j’aime ça. Et c’est évidemment très proche du format qu’utilise le personnage avec son appareil photo, le 8:10… ”
Ce format a permis au cinéaste de masquer certaines choses, de laisser beaucoup de hors-champ, ouvrant beaucoup de possibilités dans la création du paysage sonore. “J’ai aussi eu l’impression que c’était plus concentré, plus intime. Certes, c’est un voyage, mais j’avais vraiment besoin de moments d’intimité. Quand on était derrière la caméra pour les portraits, les gros plans, je me sentais vraiment très proche des acteurs…”
