King Kong a 90 ans et fascine toujours autant
Ses premières aventures sur grand écran, c’était en 1933. Cette créature au cuir dur et à sang chaud, aura inspiré les cinéastes les plus divers, nourri cultes et légendes sans connaître de baisse de régime. Entre exotisme et fantastique, le primate qui fit les beaux jours des studios hollywoodiens de la RKO et fait cauchemarder bien des générations aura connu bien des évolutions. Hommage à ce monstre sacré du Septième Art.
Publié le 25-03-2023 à 09h32
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”King Kong” souffle ses 90 bougies en ce mois de mars, commémorant ses premières aventures sur grand écran. C’était en 1933. Cette créature au cuir dur et à sang chaud, aura inspiré les cinéastes les plus divers, nourri cultes et légendes sans connaître de baisse de régime. Entre exotisme et fantastique, le primate qui fit les beaux jours des studios hollywoodiens de la RKO et fait cauchemarder bien des générations aura connu bien des évolutions. Hommage à ce monstre sacré du Septième Art.
Et si nous faisions un peu fonctionner nos neurones d’homo sapiens hyper évolué en commençant cet article par une devinette. Je mesure huit mètres de haut. J’ai de grosses paluches. Je ne me suis jamais fait faire de “french manucure” ni l’épilation du maillot. Je suis bien en chair et (très) poilu. Je déplore des narines épatées, des dents pointues et quand je pousse une gueulante, j’ai une très mauvaise haleine. Pepsodent et les bains de bouche mentholés, j’connais pas. Quand bien même on n’aurait pas pu me fabriquer une brosse à dents à l’échelle de mes quenottes pour me détartrer les molaires.
Vous ne voyez toujours pas ? Dans ce cas, voici encore quelques indices. J’adore me tambouriner le torse sous la lune éburnéenne. Un peu comme Stallone/Balboa sur un ring, le brushing et le short en moins. Accessoirement, je tombe raide dingue d’une blonde, une humaine, que je rêve d’éplucher comme une banane dans ma paume. Je suis ? Je suis ? King Kong ! Bingo, vous avez gagné une semaine de thalasso à Skull Island.


Contrairement à nombre de productions fantastiques, la thématique du Kong n’est pas d’inspiration littéraire mais totalement originale. Les réalisateurs Ernest Schoedsack et Merian C. Cooper ont su réunir des artistes exceptionnels pour mener leur projet à bien. C’est grâce au génie de l’animation Willis O’Brien, au spécialiste des effets optiques Linwood Dunn, et au bruiteur Murray Spivack que King Kong a pu prendre vie avec une telle vérité.
Les premiers pas du cinéma d’animation
Willis O’Brien est l’un des pionniers de l’animation de personnages en trois dimensions. Pour comprendre comment il a réussi à créer Kong et les dinosaures de Skull Island, il faut remonter à cette journée particulière de 1913 où tout a commencé. O’Brien fabrique alors des maquettes dans le cabinet de l’architecte principal de l’Exposition universelle de San Francisco. Pendant une pause, il prend plaisir à modeler une statuette de boxeur en argile, munie d’un squelette de fil de fer. Un de ses collègues en fabrique une seconde, et s’amuse avec lui à modeler les différentes étapes du combat. O’Brien comprend alors que cette technique pourrait permettre de réaliser des films d’animation totalement différents des dessins animés “plats” que l’on voit au cinéma. Ce seraient des personnages en trois dimensions qui s’animeraient sur l’écran.
Décidé à creuser cette idée, O’Brien construit un paysage miniature sur le toit d’un grand immeuble, afin de profiter de l’éclairage solaire et d’un vrai ciel. Il engage un cameraman d’actualité pour filmer image par image les animations de ses deux premières marionnettes : un homme des cavernes et un dinosaure dotés d’armatures articulées en bois et de peaux en pâte à modeler.
Cet essai emballe le producteur Herman Wobber, qui investit 5 000 dollars dans le tournage du premier court-métrage d’O’Brien : Le dinosaure et le chaînon manquant (1915). Cette succession de saynètes humoristiques décrit les mésaventures de plusieurs hommes des cavernes qui cherchent de la nourriture pour séduire une demoiselle. Le célèbre inventeur Thomas Edison s’enthousiasme pour le film, achète ses droits de distribution et engage O’Brien en lui laissant carte blanche.

Contrairement à certaines rumeurs, King Kong n’aura donc jamais été incarné par un comédien déguisé. Il s’agit à chaque fois d’animation de maquettes image par image, technique développée par Willis O’Brien lui-même et popularisée plus tard par Ray Harryhausen, son collaborateur sur Monsieur Joe, dans des films tels que Jason et les Argonautes (1963 ; Don Chaffey), Un Million d’années avant J.C. (1966 ; Don Chaffey) ou encore Le Voyage fantastique de Sinbad (1973 ; Gordon Hessler).
O’Brien fit ainsi construire plusieurs détails grandeur nature de Kong (un buste, une main pour tenir Fay Wray et un autre pour “écraser” ses adversaires, une tête et un pied), ainsi qu’une représentation complète d’une taille de 18 pouces.
Pour le hurlement du monstre, les cris combinés d’un lion et d’un tigre furent utilisés. Outre le gorille, O’Brien anima également toute une galerie d’animaux préhistoriques ; stégosaure, brontosaure, tyrannosaure, ptéranodon et élasmosaure. Autant de créatures qui peuplent Skull Island, le territoire de King Kong.
L’imposante porte qui y trône, protégeant la population indigène du singe, fut brûlée en 1939 pour figurer l’incendie d’Atlanta dans Autant en emporte le vent, autre production de David O. Selznick.
Le rêve d’enfant de Peter Jackson
Le succès de King Kong donna lieu à deux suites réalisées par Ernest B. Schoedsack, Le Fils de Kong (1933), Monsieur Joe (1949). En 1976, John Guillermin signa un remake, simplement intitulé King Kong avec Jessica Lange. Sexisme au possible. Et dix ans plus tard, la suite de celui-ci : King Kong II. D’autres variations de la bête virent également le jour. On a même eu le droit à des versions italiennes, japonaises et mexicaines. Avant que le singe géant ne reprenne ses quartiers sur Skull et face à Godzilla dans le monsterverse des studios Warner, Peter Jackson livrera aussi en 2005 sa version du classique. À l’époque, la critique reprochera à ce simiesco-blockbuster en puissance ces invraisemblances… zoologiques. Entre autres, la survie de grands sauriens de la préhistoire côtoyant un gorille l’espèce la plus évoluée de tous les mammifères. C’est oublier que King Kong est uniquement et avant tout, un film onirique et non une initiation scolaire à la paléontologie.
Le premier challenge du papa du Seigneur des anneaux fût déjà de dénicher la perle rare. Il la trouva en la personne de Naomi Watts, belle blondinette d’1,65m et de 45 kg égouttés. Il fallut ensuite trouver une jungle susceptible d’accueillir des caméras sans se faire agresser par des escadrilles de moustiques. À l’origine, les scènes “exotiques” devaient être tournées en Thaïlande, mais suite au dramatique tsunami qui dévasta la région en décembre 2004, les prises de vues furent annulées au profit d’un tournage en studio.
Autre impondérable : souffrant de mal de mer, Peter Jackson refusa de filmer le périple du S.S. Venture sur l’océan, privilégiant là aussi un tournage en studio. Il lui a aussi fallu reconstituer le New York de 1933, en partie à taille réelle, sur ses terres natales, la Nouvelle-Zélande, donc, Mais aussi par prolongement en trois dimensions via la puissance des ordinateurs de Weta Digital. Le metteur en scène et son équipe de décorateurs ont donc reconstitué une grande partie de la City telle qu’elle existait dans les années 30. Pour cela ils ont reconstruit chaque immeuble jusqu’au premier étage avant de compléter numériquement chaque plan.

Pourquoi New York ? Pourquoi en 1933 ? Parce qu’il s’agit de la ville et de l’époque à laquelle se déroulait une bonne partie des aventures de King Kong dans sa première version sur grand écran, l’un des films chéris du Peter.
Tout au long du tournage et de la postproduction, Jackson a également entretenu un journal de bord vidéo permettant aux internautes du monde entier de suivre l’état d’avancement du projet. Plus de 3500 heures de “rushes” ont ainsi été tournées en vue d’alimenter ce journal. Celui-ci débute en pleine crise d’adolescence, lorsqu’âgé de 13 ans, le jeune cinéaste tente une première fois de tourner son adaptation du Kong. C’est à l’aide d’une maquette de l’Empire State Building et de dinosaures en plastique qu’il a mis en boîte quelques images de la scène finale avec la caméra de papa-maman.
Une fois adulte et richissime, dans sa maison de Wellington, il installe quelques éléments originaux du film de 1933, acquis à prix d’or. Notamment les maquettes originales du stégosaure, du brontosaure et du ptérodactyle qu’affrontait le singe. Elles cohabitent avec un Empire State Building en carton, et un Kong en fil de fer, caoutchouc et fourrure de renard, “en voie de décomposition”, deux reliques que le réalisateur en herbe, avait patiemment assemblées quand il portait des culottes courtes.
Les refus de Fay Wray
Quelques années plus tard, en 1996, après avoir fait ses preuves, Peter Jackson se voit proposer par les studios Universal de mettre en scène un nouveau “King Kong”. Mais le destin s’en mêle. Après le début de la préproduction, le projet est abandonné permettant ainsi au réalisateur Néo-zélandais de se pencher sur l’adaptation du Seigneur des anneaux. Dix-sept oscars plus tard, Peter Jackson concrétise enfin son rêve d’enfant et tourne sa propre version de King Kong, 35 ans après avoir vu le premier film. Le tournage va se dérouler à Wellington et ses alentours pendant 131 jours. Surnommée Wellywood, la capitale de la Nouvelle-Zélande abrite les différents studios et lieux de tournages qui ont réuni au total 1300 techniciens et plus de 7500 figurants.
Fin prêt, Peter Jackson s’apprête alors à immortaliser son Kong, résolument fidèle à l’original. Il tient absolument à ce que Fay Wray participe à l’aventure. “Je me suis lancé : 'est-ce que vous accepteriez un petit rôle, une apparition, une ligne de dialogue ? Vous n’auriez pas besoin de vous déplacer, on filmerait chez vous, devant un fond bleu, et on incrusterait ensuite la scène dans les décors ?' Du haut de ses 96 ans, elle m’a regardé intensément et, d’une voix très ferme, elle a répondu : 'Non, Peter, il n’en est absolument pas question'.”

Naomi Watts, l’actrice blonde de Mulholland Drive, de David Lynch, assiste à la scène. C’est elle qui va reprendre le rôle d’Ann Darrow, la Belle kidnappée par la Bête. “Naomi a beaucoup appris au cours de ce dîner, poursuit Peter Jackson. Pas tant sur le King Kong original. Mais notre film se situe aussi en 1933, et Fay lui a raconté ce que c’était d’être actrice à cette époque : cette année-là, elle avait enchaîné douze films ; elle faisait elle-même son maquillage, et choisissait elle-même ses costumes. Un autre monde.”
Les semaines s’écoulent et le cinéaste réitère sa proposition à la légendaire actrice hollywoodienne : “Fay, qui avait suscité tant de fantasmes m’a saisi le bras : 'Vous savez, Peter, il ne faut jamais dire jamais. Ne désespérez pas !' me déclara-t-elle. J’ai du coup repris espoir. Malheureusement, elle est morte quelques semaines plus tard. C’était la dernière survivante du premier tournage. Ce jour-là, je suis intimement convaincu que Kong à pleurer.”