Stephen Frears : “C’est une histoire ridicule et donc très britannique”
À 81 ans, le cinéaste anglais déterre le roi Richard III dans “The Lost King”, une comédie pépère portée par Sally Hawkins, qui sort ce mercredi en salles.
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Publié le 27-03-2023 à 14h30 - Mis à jour le 30-03-2023 à 16h17
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Fin septembre 2022, on retrouvait Stephen Frears, en ligne, pour évoquer The Lost King*, charmant téléfilm BBC qui évoque le combat de Philippa Langley (Sally Hawkins), une historienne amatrice écossaise, pour faire exhumer le corps de Richard III. Et réhabiliter au passage le dernier souverain de la dynastie Plantagenêt, mort en 1483 et que Shakespeare a copieusement honni dans sa tragédie homonyme à la fin du XVIe siècle.
“Je me souviens avoir vu la pièce Richard III quand j’étais jeune, commente le réalisateur. Je me souviens aussi qu’à l’école, nous avions tous pris le bus pour aller à Norwich voir le film de Laurence Olivier. Celui-ci a eu un énorme impact sur les gens. Ce fut un grand succès populaire, tout comme l’avait été son Henry V durant la Guerre… Aujourd’hui, je ne suis plus en accord avec la vision du monde qu’a propagée Shakespeare, celle d’un Richard III bossu et maléfique. J’ai été à l’école de la vie ; je sais ce qu’est la scoliose… Mais Shakespeare a eu une énorme influence, parce qu’en Angleterre, on ne pouvait pas grandir sans être abreuvé Shakespeare. C’est un grand poète, cela semble donc raisonnable d’en faire manger à tout le monde. Mais c’est écœurant à la fin… ”
Cultivant son image de dilettante, le vieux cinéaste anglais bougonne toujours autant, mais avec le sourire, pour répondre, de façon évasive, aux questions des journalistes autour de la table ronde virtuelle. Avec quantité de formules telles que : “Je ne sais pas”, “Je n’ai jamais posé la question”, “Est-ce la bonne réponse ?”
Ainsi, quand on lui demande pourquoi il a choisi de faire ce film… “J’avais déjà travaillé avec Steve Coogan et Jeff Pope (sur l’excellent Philomena en 2014). Je passe de bons moments avec eux ; c’est tout… Vous voulez quelque chose de plus profond ? Je ne peux pas vous le donner… Cela semblait juste être une bonne idée. Je me disais que le public aimerait cette histoire et que ça ferait un bon film. Ce n’était pas un sujet conventionnel. Vous savez, à mon âge, il est de plus en plus difficile de trouver de nouveaux sujets de films…”
”Un pays dingue”
Si Frears a été attiré par ce sujet, c’est qu’il l’a trouvé plutôt cocasse. “L’idée qu’un roi soit enterré sous le parking des services sociaux de Leicester est intrinsèquement plutôt comique, commente le cinéaste. À l’époque, j’en avais entendu parler dans la presse, mais je ne songeais pas à en faire un film. Je trouvais ça bizarre, excentrique. C’est une histoire assez ridicule. Et parce qu’elle est ridicule, elle est très britannique, très anglaise. Parce que nous sommes sur le point de tuer ce pays…”
Le vieil Anglais porte en effet un regard la fois ironique et inquiet sur la situation actuelle de la Grande-Bretagne. “Je vis dans un pays dingue, vraiment. La mort de la Reine a donné une autre illustration de l’excentricité de ce pays. L’idée d’avoir une monarchie et une démocratie en même temps est en soi ridicule. Si vous vivez en Angleterre, c’est impossible de ne pas avoir cette vision du monde. C’est là-dessus qu’a écrit Lewis Carroll… ”
L'idée d’avoir une monarchie et une démocratie en même temps est en soi ridicule.
Le squelette de Richard III a été retrouvé, le 12 septembre 2012, à Leicester, la ville de naissance de Stephen Frears. “C’est là que j’ai grandi, mais ça n’a pas grand-chose à voir… On a tourné quelques scènes à Leicester, là où le corps de Richard III a été retrouvé. C’est une magnifique rue géorgienne. Mais c’est une partie de Leicester dont je ne connaissais pas l’existence, dont j’avais été tenu à l’écart, enfant…” Aucune émotion particulière donc pour le réalisateur : “Ce n’est pas comme Proust ou comme Les Fraises sauvages (d’Ingmar Bergman, NdlR). Je peux survivre au passé… ”

Troisième film sur la monarchie
Ouvertement républicain, Stephen Frears n’en reste pas moins un observateur attentif de la monarchie. The Lost King est ainsi son troisième film consacré à une figure royale, après l’inoubliable The Queen, avec Helen Mirren en Elizabeth II en 2006, et l’anodin Confident royal, avec Judi Dench en reine Victoria en 2017. “J’ai été élevé d’une manière très conventionnelle. J’ai eu beaucoup des cours d’histoire à l’école. Je suppose que cela a eu une influence sur moi…, commente le cinéaste. Je connais tous les rois et les reines d’Angleterre par cœur. On avait une comptine pour ça. Je pourrais vous la réciter ! C’est ainsi que les jeunes Anglais étaient éduqués dans les années 1950. Ce n’est que plus tard que j’ai appris qu’il existait d’autres choses, plus intéressantes.”
Dans le même ordre d’idée, le réalisateur de My Beautiful Laundrette (1985), Les Liaisons dangereuses (1988), Héros malgré lui (1992) ou High Fidelity (2000) ne s’intéresse plus, depuis dix ans, qu’à des histoires inspirées de faits réels. Quelque chose aurait-il changé dans la façon dont Frears perçoit la fiction ? “Je ne peux pas répondre à votre question… (quelle surprise…) Au cours des 20 dernières années, la politique en Grande-Bretagne a été menée de façon ridiculement dramatique. Je suppose que, souvent, la fiction n’est pas à la hauteur… Je trouve la vie réelle plus intéressante, c’est tout… Je ne sais pas pourquoi ce déclic s’est produit. C’est aussi qu’on m’a demandé de faire certaines choses. Je me souviens quand j’ai fait un film sur Tony Blair quand il est devenu chef du Parti travailliste (le téléfilm Le Deal, diffusé sur Channel 4 en 2003, NdlR). Je m’étais dit : c’est la chose la plus intéressante que j’ai lue sur la politique contemporaine. Eh bien, tout ce que j’ai fait, c’est de lire ce script et de choisir de faire cela plutôt qu’autre chose… Pareil pour The Queen, qui s’est avéré être un scénario intéressant. Et je voyais bien combien la mort de Lady Diana était dramatique… ”
À 81 ans, le bonhomme ne manque pas de projets. Après avoir réalisé la mini-série The Palace, avec Andrea Riseborough en femme dictatrice d’Europe de l’Est, Stephen Frears adaptera au grand écran le roman de Jonathan Coe Billy Wilder & Me (avec Christoph Waltz dans le rôle-titre). Pourquoi avoir accepté de réaliser ce film ? “C’est un très bon scénario… ” Merci Mr Frears de toutes ces précisions…
