“Le Bleu du caftan” : nouvelle exploration des non-dits de la société marocaine

Après “Adam” en 2020, la Marocaine Maryam Touzani signe un drame intense, toujours porté par une grande Lubna Azabal.

Halim (Saleh Bakri) et Mina (Lubna Azabal) tiennent un petit magasin de tailleur dans la médina de Salé, près de Rabat. Halim est en effet maâlem, titre accordé à un artisan spécialiste d’un savoir-faire ancestral. À la main, il confectionne les plus beaux caftans de la ville. Un travail minutieux qui, pour les plus beaux modèles — comme ce caftan bleu pétrole brodé de fils d’or dont la fabrication occupera la durée du film —, peut prendre plusieurs semaines, voire mois, à être réalisé.

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Halim est d’ailleurs en retard sur ses commandes. Toujours à la recherche d’un apprenti, le tailleur pense cette fois être tombé sur la perle rare, en la personne du jeune Youssef (Ayoub Missioui), avide de s'initier à ce métier pourtant voué à disparaître… Pour lui transmettre les gestes précis, Halim n’hésite pas à se rapprocher. Entre les deux hommes, les corps se frôlent, les mains s’effleurent… Sous le regard de Mina, qui semble de plus en plus affaiblie par le cancer.

"Le Bleu du caftan", deuxième long métrage de la Marocaine Maryam Touzani, avec Lubna Azabal et Saleh Bakri.
Dans l'atelier, Halim (Saleh Bakri) se rapproche de son apprenti Youssef (Ayoub Missioui). ©Cinéart

Derrière les portes de la médina

Trois ans après Adam, évocation sensible de la condition féminine au Maroc, à travers le portrait de deux femmes dans la médina de Casablanca, Maryam Touzani retrouve Lubna Azabal pour une nouvelle exploration des non-dits de la société marocaine. Dans Le Bleu du caftan, la cinéaste s’intéresse en effet à l’un des tabous de la société marocaine, celui de l’homosexualité, toujours illégale au Maroc.

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Très sensuel — notamment grâce au très beau travail avec la directrice de la photo belge Virginie Surdej, qui avait déjà travaillé sur Adam, mais aussi sur Razzia ou Haut et fort de Nabil Ayouch, compagnon, mais aussi coscénariste et producteur de Touzani —, Le Bleu du caftan explore le sujet avec une grande délicatesse. Avec ce second long métrage de fiction, l’ancienne journaliste marocaine ne cherche pas à signer un film à thèse qui militerait pour les droits LGBT au Maroc. Au contraire, elle se concentre uniquement sur ses très beaux personnages, tous prisonniers du carcan de la société traditionnelle. Car ce n’est pas la politique qui intéresse la cinéaste, mais bien ses conséquences dans l’intimité d’un couple.

"Le Bleu du caftan", deuxième long métrage de la Marocaine Maryam Touzani, avec Lubna Azabal et Saleh Bakri.
"Le Bleu du caftan", deuxième long métrage de la Marocaine Maryam Touzani, avec Lubna Azabal et Saleh Bakri. ©Cinéart
Maryam Touzani : “Le film parle d’un sujet très très sensible au Maroc”

Transgresser la tradition

Campé par l’acteur palestinien Saleh Bakri (découvert en 2007 dans La Visite de la fanfare de l’Israélien Eran Kolirin et revu notamment dans La Source des femmes de Radu Mihaileani ou dans My Zoe de Julie Delpy en 2019), Halim est un personnage complexe. Par son statut de maâlem, il représente en effet la transmission de la tradition marocaine, d’un artisanat d’exception pluricentenaire. Mais par sa sexualité, qu’il est obligé de réprimer — sinon derrière la porte close des douches du hammam —, il évoque une transgression de cette tradition.

Il en va de même pour Mina, femme pieuse mais qui, alors que la mort approche, est de plus en plus tentée d’envoyer voler en éclats les convenances. Elle accompagne ainsi son mari au café pour prendre le thé et fumer la chicha devant un match de foot, quitte à choquer l’assistance. Tandis qu’elle n’hésite pas, dans la boutique, à envoyer bouler les clientes les plus pressées.

C’est cette magnifique complicité, cette profonde histoire d’amour entre un homme et une femme, au-delà de la sexualité, qui est au cœur du Bleu du caftan, un drame vibrant, qui impose Maryam Touzani comme l’une des voix les plus inspirées, à la fois délicate et audacieuse, du cinéma marocain contemporain.

"Le Bleu du caftan", deuxième long métrage de la Marocaine Maryam Touzani, avec Lubna Azabal et Saleh Bakri.
Lubna Azabal et Saleh Bakri, très complices dans "Le Bleu du caftan". ©Cinéart

Le Bleu du caftan Drame intimiste De Maryam Touzani Scénario Maryam Touzani et Nabil Ayouch Photographie Virginie Surdej Montage Nicolas Rumpl Avec Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missoui… Durée 2h04

étoiles Arts Libre cinéma
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