“Les Filles d’Olfa” : un documentaire époustouflant sur la condition des femmes en Tunisie
Dévoilé en compétition à Cannes, le nouveau film de la Tunisienne Kaouther Ben Hania oscille entre documentaire et fiction, pour explorer la condition féminine en Tunisie. Une merveille à voir en salles dès ce mercredi. Critique.
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- Publié le 13-09-2023 à 08h57
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Après une fiction en demi-teintes dans le monde de l’art contemporain (L’Homme qui a vendu sa peau en 2021), Kaouther Ben Hania revient dans Les Filles d’Olfa à la tonalité féministe de ses premiers films : Le Challat de Tunis en 2014 et le très impressionnant La Belle et la Meute en 2017, qui explorait une histoire de viol dont la victime était transformée en accusée.
Dans ce magnifique documentaire, présenté en Compétition du 76e Festival de Cannes en mai dernier, la cinéaste tunisienne retrace le parcours tragique d’Olfa Hamrouni et de ses quatre filles. Quand le film s’ouvre, on rencontre cette Tunisienne d’une cinquantaine d’années souriante et ses deux filles cadettes, Eya et Tayssir, rayonnantes de beauté et de féminité. Les deux aînées, Ghofrane et Rahma, par contre, ne sont plus là. Elles ont été “emportées par les loups”.
Pour combler cette absence douloureuse – qui constitue le cœur de ce que va nous raconter le film –, Ben Hania a fait appel à deux comédiennes, Ichraq Matar et Nour Kaoui, tandis qu’Hend Sabri jouera Olfa dans les situations trop douloureuses à revivre pour celle-ci. De son côté, Majd Mastoura (ours d’argent du meilleur acteur à Berlin en 2016 pour son rôle dans Hedi de Mohamed Ben Attia) campera l’ensemble des hommes de cette histoire familiale.

Un dispositif fécond
Passé un moment déroutant, ce dispositif hybride se révèle rapidement très fécond. On ne sait jamais vraiment où commence la reconstitution, où s’arrête le making of du film en train de se faire. Intervenant elle-même hors-champ, Kaouther Ben Hania fausse complètement la frontière classique entre fiction et documentaire. Cela pourrait paraître artificiel et pourtant, cela permet d’accoucher d’émotions profondément sincères. D’un sourire éclatant, on peut ainsi passer à une voix enrouée, à des larmes qui coulent sur les joues…
Jamais la cinéaste ne lâche l’histoire d’Olfa et de ses filles, qui ne cesse de se raconter, y compris dans les interstices, dans ces moments a priori de répit où la caméra continue de tourner et d’enregistrer la relation entre la mère et ses filles. Des relations compliquées qui ont conduit, malgré elle, à la catastrophe…

La Tunisie au lendemain de la révolution de jasmin
Olfa est en effet une femme très complexe, partagée entre son propre besoin de liberté – comme elle le raconte à propos de son enfance ou de la relation à son mari – et le carcan de la société tunisienne traditionnelle, surtout au lendemain de la révolution de Jasmin de 2010-2011… Les Filles d’Olfa propose en effet une passionnante exploration de ce que signifie être une femme dans la Tunisie d’aujourd’hui. Car si l’on découvre en Eya et Tayssir deux jeunes femmes modernes, qui osent aborder, parfois crûment, le rapport à leur corps face à la caméra (sous le regard réprobateur de leur mère…), elles ont aussi dû faire face au pire, à des hommes violents, à la montée de l’intégrisme musulman en Tunisie au lendemain de la chute de Ben Ali…
Kaouther Ben Hania signe un documentaire brillant, qui dépasse tous les a priori, toutes les idées reçues pour composer une photo de famille à la fois libre, joyeuse et tragique. Comme en témoigne la dernière image du film, proprement bouleversante…
Les Filles d’Olfa Essai documentaire Scénario et réalisation Kaouther Ben Hania Photographie Farouk Laaridh Musique Amine Bouhafa Montage Jean-Christophe Hym, Qutaiba Barhamji et Kaouther Ben Hania Avec Olfa Hamrouni, Eya Chikhaoui, Tayssir Chikhaoui, Hend Sabri, Nour Karoui, Ichraq Matar, Majd Mastoura… Durée 1h47.