Le fils de Saul, de Laszlo Nemes: en enfer
On croyait avoir tout montré de la Shoah mais pour son premier long métrage, Lazlo Nemes expose avec réalisme le fonctionnement de l'usine de mort. Critique.
- Publié le 15-05-2015 à 21h42
- Mis à jour le 15-05-2015 à 21h43
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Saul travaille en enfer. Ce n'est pas une formule, une métaphore mais la terrifiante réalité. Un convoi arrive, avec les autres membres du sonderkommando, ce juif hongrois conduit les hommes, les femmes, les enfants du train vers la chambre à gaz. « Dépêchez-vous de vous déshabiller, de prendre votre douche, la soupe va refroidir » disent cyniquement les hauts parleurs. On pousse les malheureux sans ménagement vers la pièce fatale. Et alors qu'on les entend hurler, les dizaines de sonderkommando trient leurs vêtements, vident leurs poches avant d'entamer leur travail macabre: évacuer les « pièces » comme disent les nazis, en glissant une lanière entre les épaules. Puis, ils les enfourneront dans le crématoire pendant que d'autres damnés savonnent énergiquement la chambre à gaz.
On croyait avoir tout montré de la Shoah mais pour son premier long métrage, Lazlo Nemes expose avec réalisme le fonctionnement de l'usine de mort, s'attachant à ceux qui, pareils à des robots, la faisaient fonctionner sous les ordres crachés par les militaires allemands. Comme la caméra des Dardenne collait à Olivier Gourmet dans « Le Fils »; Laszlo Nemes serre au plus pres Saul en permanence, le visage toujours baissé, fermé. Quand tout à coup, il reconnaît parmi les cadavres, celui de son fils. Dès lors, il est envahi d'une idée fixe, il est prêt à prendre tous les risques pour enterrer son enfant religieusement. « Tu as quitté les vivants pour être avec les morts » l'enguirlande le leader de kommando qui tente d'organiser une révolte. Mais Saul n'a plus qu'une obsession: trouver un rabbin.
Rien ne nous est épargné dans cette oeuvre puissante et asphyxiante. Ni le son assourdissant du four, des convois, des cris. Ni les cadences hallucinantes de l'entreprise d'extermination. Ni les petits trafics et arrangements de certains avec les nazis. Rien, pas même les camions de cendres qu'on évacue à grandes pelletées dans le fleuve. Le jeune réalisateur hongrois ne laisse aucune place à l'émotion, à la dramatisation, à l'héroïsme, à l'humanité. Le format carré de l'image est celui d'une cage en mouvement alors tout peut surgir du hors champ: des ordres, des cadavres, des coups. Y compris dans le plexus du spectateur.