"La loi du marché": un film lumineux
Comment vivaient des millions de gens en 2015 ? Comment vivait Monsieur Tout-le-monde ou plutôt Monsieur De-50-ans-qui-a-perdu son emploi ? Une critique de Fernand Denis.
- Publié le 18-05-2015 à 19h21
- Mis à jour le 19-05-2015 à 09h11
Comment vivaient des millions de gens en 2015 ? Comment vivait Monsieur Tout-le-monde ou plutôt Monsieur De-50-ans-qui-a-perdu son emploi ?
Parce que son entreprise a rationalisé, délocalisé, fusionné, pris son bénéfice… Quand on se posera la question en 2115, “La loi du marché” de Stéphane Brizé (Je ne suis pas là pour être aimé) pourrait être un bon choix.
On fait la connaissance avec Thierry dans le petit bureau de son conseiller du pôle emploi. Il a suivi une formation de grutier mais personne ne veut l’engager car il n’avait jamais travaillé sur un chantier, comme 14 des 15 participants du stage. Des mois à apprendre un métier, des mois à envoyer des CV, des mois à se présenter à des entretiens, pour comprendre que cela mène à rien. Thierry reste calme. C’est un type paisible, flexible, conciliant, bon père de famille. On va suivre son parcours en une vingtaine de scènes, d’étapes : entretien d’embauche par Skype, évaluation collective, repas du soir en famille, contacts avec la banque, pour en arriver au boulot : agent de sécurité dans une grande surface.
Au fil des séquences, toutes terriblement banales pour des millions de gens, Stéphane Brizé fait apparaître cette loi du marché. Sa force, celle d’exiger la flexibilité, un salaire au rabais car la demande est supérieure à l’offre. Ses goûts, celui d’humilier et des profils formatés. Ses objectifs, non son objectif : le profit, un employé de banque n’est pas là pour conseiller un client mais lui vendre n’importe quel produit. Elle est sans pitié et Thierry va en faire l’expérience quotidienne, son rôle étant de repérer les voleurs
Jusqu’où l’homme peut accepter de nier son humanité, s’écraser pour satisfaire la loi du marché ? Sans discours, sans dramatisation, sans fiction — si ce n’est Vincent Lindon entouré de non professionnels dans leur propre rôle —; Stéphane Brizé réussit un film lumineux tant il éclaire notre époque en nous mettant la lampe de poche dans la main. L’adéquation parfaite du sujet avec sa mise en scène ne devrait pas échapper au jury.