Le premier porno 3D du Festival de Cannes
Gaspar Noé ne voit rien de transgressif dans Love, 2 h 15 de sexe, “de sperme et de larmes”.
- Publié le 21-05-2015 à 15h56
- Mis à jour le 21-05-2015 à 16h51
Gaspar Noé ne voit rien de transgressif dans Love, 2 h 15 de sexe, “de sperme et de larmes”.
Depuis le début de Festival, la petite culotte de Sophie Marceau suffit à mettre en émoi la Croisette (et le reste du monde, d’ailleurs, via internet). Alors, imaginez l’impact de Love, le tout premier film porno en 3D présenté en sélection officielle mais hors compétition. En séance de minuit, certains ont attendu 1h30 dans la file réussir à accéder à la salle. Et il y avait une foule inhabituelle en vision de presse pour LA polémique annoncée de cette édition.
De fait, Gaspar Noé ne trompe pas sur la marchandise : Love s’ouvre sur l’image fixe d’un homme et une femme, entièrement nus et jambes écartées, en train de se masturber l’un l’autre. Aucun mot n’est échangé jusqu’à l’éjaculation, quatre minutes plus tard. Une séquence plutôt soft (comme quoi, tout est relatif) par rapport à la suite du programme. Partouze, échangisme, tripartite avec une mineure, fellation, cunnilingus, tout le répertoire y passe et trouve son point culminant, si l’on peut dire, avec un sexe masculin en érection qui sort de l’écran avant, une nouvelle fois, d’éjaculer au-dessus de la tête des personnes juste devant dans la salle.
Rien que de très banal, à en croire le cinéaste. “Je n’ai pas l’impression d’avoir fait de transgression, lâche-t-il en souriant. Tout cela a déjà été montré auparavant au cinéma. Pasolini ou Bunuel sont passés par là. J’arrive loin derrière.”
Provocateur en diable, Gaspar Noé joue avec les mots (“on voulait réaliser un mélo porno”), justifie la libido frénétique de ses personnages (“Tout le monde rêve de ça, on ne pense qu’à baiser”) et se moque ouvertement du monde : “Je voulais montrer ce qu’est l’amour pendant l’acte sexuel. Pour cela, je ne peux pas ne pas montrer les parties génitales. Je ne vais pas vous dire ce qui est vrai ou faux : il y a beaucoup de faux et… beaucoup de vrai. L’important n’est pas comment cela s’est passé sur le plateau mais ce qu’on voit à l’écran.”
Cannes, pour lui, est une caisse de résonance. Plus la polémique sera forte, plus sa fiction, déjà vendue à 75 pays (y compris les USA !) trouvera de distributeurs. “C’est juste un film sur la vie, vu à travers un de ses aspects les plus glorieux. Je me demande pourquoi c’est si mal représenté au cinéma. On se souvient de l’attachement affectif alors que le souvenir de l’acte sexuel s’efface très vite. Mais pourquoi cette partie-là doit-elle être occultée ? Cela ne parle pas d’une banque suisse ou de scientologie, il n’y a même pas de meurtre à l’écran : cela s’appelle Love , on sait donc très bien ce qu’on va voir. Tapez love sur internet et 50 % des images qui apparaîtront seront pornographiques. Même en Syrie, sur leur smartphone, les enfants de 8-9 ans regardent du porno. On ne peut pas lutter contre ce que le monde est devenu mais bien apporter de la fraîcheur et de la vraie vie dans cette représentation de la vie amoureuse.”
Et d’asséner le coup de grâce en estimant que son film devrait être accessible dès 12 ans. Opération provoc terminée.
Love : narcissique, pompeux, pompant
Gaspar Noé ne se contente pas d’exceller dans la provocation et la manipulation. Il se défend bien aussi dans le narcissisme. Murphy, le héros de Love rêve d’avoir un fils qu’il appellerait Gaspar. Et déteste l’ex d’Electra, prénommé Noé. Ce charmant jeune homme, quelque peu pédophile, qui cherche désespérément à retrouver l’amour de sa vie plutôt que de s’occuper de l’adolescente mise enceinte à 16 ans (“17 ans… bientôt”), se rêve cinéaste. Pour “tourner un film avec du sang, du sperme et des larmes. C’est l’essence même de la vie.”
Et c’est parti pour quelques répliques bien lourdes, comme celle balancée à une apprentie comédienne (“Je veux faire un film qui montre du sexe avec des sentiments; pourquoi n’en voit-on pas plus au cinéma ?”) avant de la sauter sans la moindre émotion dans la salle de bain. Ou encore “Je ne suis pas l’esclave d’une chatte : un cul est un cul”) voire le très raffiné “Tu ne sauras jamais t’occuper d’un enfant car tu n’es qu’un sale trou vénéneux”. C’est vrai que là, on les sent bien, les sentiments…
Pour se distinguer des autres films porno directement perdus dans la masse sur le net, Gaspar Noé parle de lui, du cinéma, de l’amour avec des répliques pompeuses (“Si tu tombes amoureux, tu es le perdant” ou “Tu es en France ici, tu iras forcément baiser ailleurs”) tout en entrecoupant les séquences de quelques secondes d’images noires, pour donner un effet View Master de notre enfance.
Une monstrueuse arnaque pseudo-artistique, au scénario inexistant (Murphy regrette Electra, se souvient de ses parties de jambes en l’air, puis la pleure et se remémore l’avoir prise dans un parking ou un couloir, et ainsi de suite), au déroulement interminable et au sexe triste, pratiqué sous alcool ou sous opium. Le mot de la fin revient à son double : “On n’est peut-être pas les grands artistes qu’on rêvait d’être, peut-être que tout ça est merdique.” Bien dit.