Juliette Binoche ouvre en beauté la Quinzaine des réalisateurs avec "Ouistreham"
C’est ce mercredi que s’ouvre la 53e Quinzaine des réalisateurs avec « Ouistreham », magnifique adaptation du récit de Florence Aubenas signée Emmanuel Carrère. Juliette Binoche n'a malheureusement pas fait le déplacement sur la Croisette pour présenter le film...
- Publié le 06-07-2021 à 10h17
- Mis à jour le 07-07-2021 à 19h11
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C’est avec un grand film que s’est ouverte, ce mercredi 7 juillet à 8h30, la 53e édition de la Quinzaine des réalisateurs: Ouistreham, qui associe Juliette Binoche, Florence Aubenas et Emmanuel Carrère… Difficile d’imaginer plus belle affiche, entre une star de cinéma internationale, un grand nom du journalisme français et l’un des plus grands écrivains hexagonaux. Et réalisateur à ses heures.
Après un documentaire (Retour à Kotelnitch en 2003) et La Moustache deux ans plus tard (adaptation bancale de son roman publié en 1986), Emmanuel Carrère se met donc cette fois au service de la plume de la journaliste du Monde Florence Aubenas, en adaptant son récit Le Quai de Ouistreham qui, en 2010, racontait son enquête en immersion durant six mois auprès des plus précaires à Caen, en tant que femme de ménage. À l’écran, c’est donc Juliette Binoche qui incarne cette écrivaine aisée qui débarque dans une ville moyenne où elle n’a aucune attache pour venir vivre la vie des pauvres.
Une star parmi des femmes de ménage
Ayant disparu des radars parisiens, Marianne Winckler s’installe dans un petit appartement à Caen et s’inscrit à Pôle Emploi. Sur son CV, sa conseillère remarque d’emblée un trou de 23 ans, entre ses études de lettres et de droit et aujourd’hui. Alors elle biaise: « J’ai été mariée, femme au foyer. Je suis divorcée… » Et puis: « La propreté, c’est ma passion! » La journaliste doit en effet apprendre à « se vendre » pour espérer dénicher, au mieux, quelques heures payées au Smic: 7,96€ nets de l’heure…
Marianne finit par décrocher un contrat à L’Immaculé, une société de nettoyage, pour laquelle elle bosse dans un camping. Avant de se faire virer et d’atterrir au nettoyage du ferry Ouistreham-Portsmouth. Une escale d’une heure trente pour nettoyer 230 cabines: 4 minutes par chambre pas plus!
Si Emmanuel Carrère transforme le récit de Florence Aubenas en fiction — il change d’ailleurs le nom de l’héroïne —, l’écrivain a tenu à conserver au film une vraie tonalité documentaire. Juliette Binoche est ainsi la seule actrice professionnelle, au milieu d’un casting composé de vraies femmes de ménage du coin. Le contraste fonctionne à merveille. Tout comme Aubenas était une journaliste parisienne infiltrée parmi des travailleurs pauvres, Binoche est la star parmi les « vrais gens ». Et l’actrice française est juste parfaite dans ce décalage. À la fois humble et proche, quand il s’agit de fumer une cigarette à la fenêtre de la petite cuisine de sa copine Christèle (excellent Hélène Lambert), et différente, voire un vol excentrique, quand elle l’emmène se baigner dans la mer glacée… Chose que la jeune femme ne prend jamais le temps de faire…
La question du mensonge
Au-delà d’une description minutieuse de la précarité, de la mise en scène de la dureté du monde du travail, mais aussi de la solidarité qui peut y régner entre travailleurs pauvres, Emmanuel Carrère axe son adaptation sur cette dimension morale du mensonge, déjà au coeur de son récit L’Adversaire en 2000 sur l’affaire Romand (porté à l’écran par Laurent Cantet et Nicole Garcia). Si les intentions de Marianne Winckler/Florence Aubenas sont évidemment louables — vivre de l’intérieur cette vie de misère pour ensuite mettre en lumière cette France invisible, qui donnera bientôt les Gilets jaunes —, l’écrivaine le fait en dissimulant son statut de bourgeoise aisée qui, une fois l’expérience terminée, pourra retourner à sa confortable vie parisienne pour tirer les lauriers du livre qu’elle vient d’écrire — Aubenas a notamment décroché le Prix Joseph Kessel. Alors que ces anciennes collègues continueront leur vie de galère. Tel est l’enjeu moral, passionnant, sur lequel Carrère axe tout son film. De quoi transcender le sujet initial et proposer un grand film en ouverture de la Quinzaine.
