"Lingui": Au Tchad, le combat d’une mère pour sa fille
Ce jeudi après-midi, Mahamat Saleh Haroun présentait en Compétition du 74e Festival de Cannes son nouveau film Lingui, qui aborde la délicate question de l’avortement au Tchad.
Publié le 08-07-2021 à 17h31 - Mis à jour le 08-07-2021 à 17h32
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Prix du jury à Cannes en 2010 pour Un homme qui crie (trois ans après avoir décroché le prix spécial du jury à la Mostra pour Daratt: Saison sèche), Mahamat Saleh Haroun retrouvait, ce jeudi, la Compétition cannoise avec Lingui: Les liens sacrés. Un septième long métrage qui marque un retour aux sources pour celui qui fut le premier cinéaste tchadien en 1991 (avant d’être un éphémère ministre de la Culture entre 2017 et 2018).
Retour aux sources
Dans son court métrage Maral Tanié en 1994, Haroun racontait l’histoire d’une jeune fille de 17 ans mariée de force par sa famille à un homme d’une cinquantaine d’années et qui refusait de consommer le mariage. Dans Lingui, le cinéaste, basé en France depuis 1982, met à nouveau en scène un personnage féminin qui, petit à petit, va, elle aussi, s’opposer au poids de la tradition et de la religion…
Fille-mère, Amina (Achouackh Abakar Souleymane) vit seule avec sa fille de 15 ans, Maria (Rihane Khalil Alio), dans la banlieue de N’Djamena. Elle passe ses journées entre les prières à la mosquée, matin et soir, et son travail. Elle récupère le métal des pneus usagés pour fabriquer des paniers, qu’elle vend dans les rues agitées de la ville.
Alors qu’elle est courtisée par son voisin Brahim (Youssouf Djaoro), un « frère en islam » plus âgé qu’elle, elle découvre que Maria, taiseuse depuis quelque temps, a été renvoyée du lycée car elle est enceinte. Refusant d’abord l’idée d’un avortement, au nom de ses principes religieux, Amina va ensuite tout faire pour tenter de réunir le million de francs CFA nécessaires pour permettre à sa fille d'avorter. Un acte passible de 5 ans de prison au Tchad et d'une radiation à vie pour le médecin qui le pratique…

Récit d’émancipation
Ne lâchant jamais ses deux personnages principaux, Mahamat Saleh Haroun signe un drame au féminin très fort. Pas question de sensiblerie ou de grandes questions théoriques ici. Lingui enregistre les gestes, les actions, les mouvements de ces femmes subissant de plein fouet une société patriarcale tchadienne. Avortement, viol, excision, éducation des filles… Lingui aborde toutes ces questions sans jamais verser dans le film à thèse, juste en décrivant le parcours d’émancipation d’une mère et de sa fille.
Très sensuelle, la mise en scène d’Haroun se focalise sur les corps, les visages, les cheveux, les tissus (dont le voile)... Mais aussi sur les bruits et l’agitation des rues de N’Djamena, pour donner du corps, de la profondeur à un récit volontairement basique, réduit, non à des enjeux moraux sur l’avortement ou sur l’archaïsme de la société tchadienne, mais à un but pour l'héroïne: comment cette mère célibataire, pauvre, parviendra-t-elle à empêcher sa fille de vivre la même vie de malheur qu’elle, qui fut bannie par sa famille et rejetée par la société parce qu’elle élevait seule l’enfant d’un homme qui l’a abandonnée…
