Avec “The Zone of Interest”, Jonathan Glazer offre un premier film choc à Cannes
Vendredi soir, le cinéaste britannique – muet depuis 10 ans – a frappé fort en Compétition du 76e Festival de Cannes avec une évocation aussi inspirée que glaçante de la vie quotidienne du directeur des camps d’Auschwitz et de sa famille… D’après le roman de Martin Amis, décédé le jour même.
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Publié le 20-05-2023 à 08h49 - Mis à jour le 21-05-2023 à 07h49
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Tonnerre d’applaudissement, vendredi soir, à l’issue de la projection de presse de The Zone of Interest à la salle Debussy, qui se déroulait en parallèle de la projection officielle au Grand Théâtre Lumière ! Dix ans après son dernier film, Jonathan Glazer a marqué de son empreinte le 76e Festival de Cannes avec le premier grand choc de la Compétition.
En 2013, on avait découvert le cinéaste Britannique à la Mostra de Venise avec l’envoûtant mais insaisissable Under the Skin, film de science-fiction expérimental avec Scarlett Johansson. On le retrouve une décennie plus tard avec un film tout aussi exigeant formellement, mais nettement plus frontal sur le fond.

Le paradis en Enfer
The Zone of Interest s’ouvre par un sas. Écrit en blanc, le titre scintille longuement, avant d’effacer progressivement pour laisser un écran noir. Pendant de longues secondes, la salle est plongée dans une ambiance de bruits sourds et de chuchotements. On bascule ensuite sur une scène idyllique : une partie de campagne au bord d’un lac. Deux berlines noires ramènent cette famille allemande modèle chez elle, dans une petite villa avec un magnifique jardin fleuri…
Ce matin, c’est l’anniversaire du père, que l’on découvre habillé en uniforme nazi. Quand la caméra recule, on se rend compte que la maison est accolée à un camp de concentration. Bienvenue chez Rudolf Höss (Christian Friedl), commandant des camps d’Auschwitz, et sa femme Hedwig (Sandra Hüller), qui ont bâti un paradis pour leurs enfants aux portes de l’enfer.
Adaptant La Zone d’intérêt, roman publié en 2014 par le Britannique Martin Amis (qui est mort ce vendredi, jour mêle de la première à Cananes), Jonathan Glazer construit son film comme une succession de saynètes quotidiennes d’une famille ordinaire : discussions entre épouses à la cuisine, séances de jardinage, jeux d’enfants, complicité de couple, tour de la propriété fait Hedwig à sa mère… Il ne se passe a priori rien d’extraordinaire. Sauf que tout se fait à l’ombre du pire camp d’extermination de l’Histoire…
Si l’on ne voit jamais l’intérieur du camp – on reste dans cette petite maisonnette proprette -, Jonathan Glazer joue à fond du hors-champ. Le sort des Juifs est ainsi évoqué au détour d’une conversation, à travers ce manteau de fourrure que reçoit l’épouse, par la fumée qu’on voit au loin… Et, surtout, par un grondement constant, que l’on imagine être celui des fours crématoires.

Une expérience malaisante
Jonathan Glazer a particulièrement travaillé avec soin la bande-son de son film, qui repose sur un bruit de fond permanent, fait d’aboiements de chien, de hurlements, de coups de feu… Un bruit lointain auquel, comme cette famille, on finit par s’habituer, pour ne plus le remarquer…
Pour instiller le malaise chez le spectateur, pour accentuer le contraste entre la banalité de ce que l’on voit à l’image et l’horreur qu’elle cache, le Britannique mise aussi sur son approche plus expérimentale, jouant beaucoup sur les sons donc, mais aussi sur l’image, parfois distordue quand le père lit à ses enfants Hänsel et Gretel… L’effet est saisissant et contribue à tirer le film du côté d’une forme d’abstraction, de fable.
Si le personnage de Rudolf Höss est bien réel – l’acteur Christian Friedl en reprend même la coupe de cheveux caractéristique –, The Zone of Interest n’est pas un film historique. Par sa direction artistique, jouant notamment d’une forme d’anachronisme dans les décors – cette petite maison proprette ne dépareillerait pas dans les années 1950 ou 60, un peu n’importe où en Europe -, Glazer confère à son récit une universalité très dérangeante.

Une famille en Sécession
Car The Zone of Interest n’est pas un film sur le passé, mais bien sûr le présent. Dans cette famille sourde et aveugle au sort de ses semblables, on peut évidemment voir notre propre indifférence face à la misère du monde, notre propre égoïsme et individualisme, mais aussi le séparatisme dont font preuve des plus riches, déjà entrés en sécession avec le reste de l’humanité au nom de ses intérêts. Ce que Jonathan Glazer souligne en nous présentant Rodolphe Höss comme un patron, usant du même langage managérial et de l’efficacité productiviste pour penser à comment tuer plus de Juifs dans le temps imparti par Hitler… Glaçant !
Voilà en tout cas un candidat très très sérieux à la Palme d’or, car le Suédois Ruben Östlund, président du jury, sera très certainement sensible à ce type de cinéma.
The Zone of Interest Drame Scénario et réalisation Jonathan Glazer (d’après le roman de Martin Amis) Photographie Łukasz Żal Musique Micachu Montage Paul Watts Avec Sandra Hüller, Christian Friedl, Stephanie Petrowitz… Durée 1h45
