Jeu trouble entre Nathalie Portman et Julianne Moore à Cannes
Samedi soir, Todd Haynes faisait son entrée en Compétition du 76e Festival de Cannes avec “May December”, une réflexion assez mécanique sur l’inspiration artistique portée par deux grandes comédiennes.
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Publié le 21-05-2023 à 09h30 - Mis à jour le 21-05-2023 à 12h44
Quel beau tapis rouge à nouveau, samedi soir au Festival de Cannes ! Après Martin Scorsese, Leonardo DiCaprio et Robert De Niro défilant pour Killers of the Flower Moon, les marches cannoises ont accueilli, dans la foulée, Nathalie Portman et Julianne Moore. Les stars américaines entouraient Todd Haynes, qui, huit ans après le bouleversant Carol et six ans après le délicat Wonderstruck, faisait son retour dans la Compétition cannoise avec May December. Un onzième long métrage un peu en dessous des attentes.
Après un documentaire sur le Velvet Underground en 2021, le cinéaste américain est de retour à la fiction avec un film plus classique, où il retrouve son actrice fétiche Julianne Moore, qu’il avait révélée en 1995 dans Safe, avant de la retrouver pour le magnifique Far From Heaven en 2002 et Wonderstruck. La tonalité est ici très différente. Habitué des grands mélodrames à la Douglas Sirk (l’une de ses grandes références) ou d’expériences de cinéma déroutantes façon I’m not there en 2007 (biographie de Bob Dylan dans laquelle le chanteur était incarné par plusieurs acteurs, dont Cate Blanchett), Haynes s’essaye cette fois à une comédie décalée sur le monde du cinéma.

Stage d’observation
Star hollywoodienne, Elizabeth Berry (Nathalie Portman) débarque à Savannah, en Géorgie. Elle a rendez-vous avec Gracie Arherton-Yoo (Julianne Moore), qui organise un grand barbecue en son honneur, dans le jardin de sa grande maison. L’actrice a fait le long voyage depuis Los Angeles pour préparer son prochain rôle dans un film indépendant. Dans lequel elle interprétera… son hôtesse.
Il y a plusieurs années, Gracie a fait la une de la presse à scandale pour avoir eu, en prison, un enfant avec Joe (Charles Melton), son amant alors… mineur. Aujourd’hui, ils sont mariés et ont trois enfants. Les deux derniers s’apprêtent à partir à l’université. Durant plusieurs semaines, la comédienne va côtoyer Grace, sa famille, ses amis, s’imprégner des lieux, pour incarner au mieux cette femme complexe, insaisissable…

Derrière le vernis de la société américaine
Sur un scénario de Samy Burch et Alex Mechanik, Todd Haynes signe une comédie dramatique assez mécanique, pour tenter de gratter le vernis des apparences. Car derrière les sourires, la belle maison, les grands enfants, se cache autre chose. Tout ce bonheur en surface s’est construit sur une relation entre une femme de 36 ans et un jeune garçon de 13 ans… Comment surpasser une telle violation des convenances sociales ? Cette famille a justement choisi de s’y conformer totalement.
Car il n’y a pas que le personnage de Nathalie Portman qui soit acteur. Tous les membres de cette communauté, à commencer par le personnage de Julianne Moore, tiennent un rôle, jouent leur participation pour ce conformer aux normes de l’American Way of Life. Une critique pertinente, certes, mais que faisait déjà, et de façon plus fine, Sam Mendes dans American Beauty, il y a 20 ans. Todd Haynes n’a pas l’air d’y croire plus que cela, glisse par moments vers la parodie de thriller, soulignant ses effets par les accords appuyés de la partition de Marcelo Zarvos. À tel point qu’on a du mal à prendre tellement au sérieux cette histoire, à s’intéresser aux enjeux moraux qu’elle recèle.
Reste heureusement la très belle confrontation entre Nathalie Portman et Julianne Moore, parfaites chacune dans leur registre. La première dans celui de la fausse ingénue perverse et manipulatrice pour obtenir ce dont elle a besoin pour son film. La seconde dans celui de la parfaite maîtresse de maison du Sud des États-Unis, dont le sourire forcé et la gentillesse affichée cachent une froideur tout aussi calculatrice… De quoi sauver May December, en lui offrant quelques scènes très fortes (dont une formidable séquence de maquillage). Et un numéro final, dans lequel Portman prouve à nouveau toute l’étendue de son immense talent.

May December Comédie dramatique De Todd Haynes Scénario Samy Burch et Alex Mechanik Photographie Christopher Blauvelt Musique Marcelo Zarvos Avec Nathalie Portman, Julianne Moore, Charles Melton… Durée 1h53
