À Cannes, Jessica Hausner explore la tentation sectaire
Lundi soir en Compétition, Mia Wasikowska et la cinéaste autrichienne ont titillé les bonnes consciences avec “Club Zero”, une comédie acide irrésistible sur l’hygiénisme contemporain et les dérives du développement personnel.
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Publié le 22-05-2023 à 19h35 - Mis à jour le 26-05-2023 à 15h01
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Avec Club Zero, la Compétition du 76e Festival de Cannes accueillait, ce mercredi soir, un film étrange, qui dézingue joyeusement les nouvelles injonctions alimentaires. Trois après avoir présenté le très étrange Little Joe à Cannes, Jessica Hausner poursuit dans la même veine, avec une comédie grinçante qui fait mouche.
“Le vegan, c’est tellement dépassé ! ”, balance une jeune fille à son père, qui lui a préparé un bon gratin de chou-fleur. C’est qu’elle est enthousiaste pour son nouveau cours d’“ alimentation consciente”, prodigué par Miss Novak (Mia Wasikowska), la nouvelle professeure du Talent Campus, le lycée privé ultra-sélect où ses parents aisés l’ont inscrite.
Sauver la planète, contrôler ses impulsions, mener une vie plus saine, gagner des points supplémentaires pour l’obtention d’une bourse… Les motivations du petit groupe d’élèves qui ont rejoint la classe de Miss Novak sont diverses, mais tous sont de plus en plus fascinés par cette jeune femme au sourire bienveillant, qui prend ses élèves sous son aile pour les aider à progresser. Mais, petit à petit, les adolescents commencent à manger de moins en moins, convaincus que le fait de devoir manger pour vivre est une fausse croyance, que la force de l’esprit est plus forte que tout. Face à eux, leurs parents sont totalement désarmés…

Alimentation consciente
Il faut voir ces jeunes gens inspirer longuement par le nez, puis expirer par la bouche, avant d’ingérer un minuscule morceau de viande ou de pomme de terre… Ces scènes, d’une banalité dérangeantes grâce à la mise en scène frontale, froide de Jessica Hausner, résument à elle seule la tonalité recherchée par la cinéaste autrichienne.
Petits polos colorés stricts, coupe au bol bien peignée, une tasse de tisane toujours à la main… L’Australienne Mia Wasikowska (la Alice au pays des merveilles de Tim Burton, qu’on n’avait plus vue depuis Bergman Island de Mia Hansen-Løve, présenté en Compétition à Cannes en 2020) campe avec une candeur perverse cette professeure aux airs de gourou, qui distille à ses élèves une pseudo-religion alimentaire basée sur tout le prêchi-prêcha de la pleine conscience et du développement personnel en vogue. “J’ai vu une vidéo sur Internet de gens se nourrissant de lumière, de Prâna. Vous pensez que c’est possible”, demande un élève à sa professeur. “Je ne m’y connais pas bien en nutrition pranique, mais je crois qu’on peut encore aller plus loin : ne rien manger”, rétorque-t-elle avec un sourire bienveillant…

Bien-être personnel
Ce “respirianisme” (qui existe malheureusement bel et bien) et les autres dérives de l’alimentation, qui touchent notamment des jeunes inquiets face à un avenir de plus en plus sombre, sont les cibles de Jessica Hausner dans Club Zero. En s’attaquant à ces comportements sectaires, la cinéaste dénonce plus largement les contradictions et l’hypocrisie d’une société hyper individualiste, sans cesse à la recherche du bien-être personnel, quitte à succomber à l’irrationnel. Car, comme le dit de sa petite voix timide Miss Novak : “Ce n’est pas parce qu’on ne peut pas prouver scientifiquement quelque chose qui fonctionne qu’elle n’est pas vraie…”
À nouveau porté par une mise en scène au cordeau – très attentive notamment aux décors, aux costumes, au cadre –, Hausner poursuit son exploration de la bizarrerie dans une comédie grinçante, décalée mais suffisamment proche de nous, pour faire mouche…
Club Zéro Drame De Jessica Hausner Scénario Jessica Hausner et Geraldine Bajard Photographie Martin Gschlacht Musique Markus Binder Montage Karina Ressler Avec Mia Wasikowska, Sidse Babett Knudsen, Amir El-Masry, Elsa Zylberstein, Mathieu Demy, Ksenia Devriendt, Luke Barker, Florence Baker… Durée 1h50
