À Cannes, Bellocchio dénonce Pie IX, le pape kidnappeur d’enfants
Mardi soir, le vieux cinéaste italien a enthousiasmé la Compétition du 76e Festival de Cannes avec “L’Enlèvement”, où il revient sur le destin tragique d’Edgardo Mortata, sur fond d’unification italienne.
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Publié le 24-05-2023 à 08h59 - Mis à jour le 24-05-2023 à 12h10
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À 83 ans, Marco Bellocchio est régulièrement venu à Cannes mais, hormis une Palme d’honneur il y a deux ans (lorsqu'il présentait son dernier film Marx peut attendre, documentaire très touchant consacré au suicide de son jumeau), il n’a jamais obtenu de prix majeur sur la Croisette, même pas pour de grands films comme Vincere en 2009 ou Le Traître en 2019. Le cinéaste italien l’a donc dit avant l’ouverture du festival : il voulait être en Compétition avec L’Enlèvement et espère bien décrocher la Palme d’or.
Très applaudi mardi soir, le vieux maître signe un film fort où il revient sur un fait divers qui avait défrayé la chronique au XIXe siècle: l’enlèvement d’un enfant juif pour l’éduquer en Chrétien et en faire un prêtre, le père Edgardo Mortata, qui mourra en 1940 en Belgique.

Un enlèvement légal
Le film s’ouvre le soir du 23 juin 1858 à Bologne, qui fait alors partie des États pontificaux. Sur ordre du cardinal de la ville, la police débarque dans une maison du quartier juif, chez la famille Mortata. L’officier exige de recenser les enfants. Il est en fait à la recherche du petit Edgardo, six ans. On explique à ses parents que celui-ci aurait été secrètement baptisé quand il était bébé et que, selon la loi canonique, il doit donc être enlevé à sa famille pour être éduqué dans la foi chrétienne.
Le père d'Edgardo (Fausto Russo Alesi) alerte la communauté juive, à Bologne, à Rome mais aussi en France et en Angleterre. L’affaire fait le tour du monde, provoque le scandale, mais le pape Pie IX (Paolo Pierobon) tient bon et refuse de libérer l'enfant, au nom du dogme chrétien. Malgré les efforts de ses parents et au désespoir de sa mère (Barbara Ronchi), l’enfant est emmené à Rome, où il rejoint d’autres garçons juifs enlevés à leur famille et internés dans une Maison des Catéchumènes. Là, le petit Edgardo apprend à prier en latin et, progressivement, à renoncer à sa foi et à tourner le dos à ses parents…

D’un pape l’autre
L’année dernière, Marco Bellocchio présentait en sélection officielle à Cannes son excellente série Esterno notte, sur l’enlèvement d’Aldo Moro, où l’on croisait notamment Toni Servillo en Paul VI. Le cinéaste italien nous plonge une fois encore au Vatican dans son nouveau film, pour dénoncer le rôle de Pie IX – surnommé alors par la presse libérale “il papà rapitore”, le pape enleveur d’enfants.
La pratique était en effet courante à l’époque, sur fond d’antisémitisme tout sauf voilé de l’Église. Ce que Bellocchio met notamment en scène dans une confrontation entre le saint-Père et les représentants de la communauté juive romaine, dont le pape exige la soumission, sinon l'humiliation. Au-delà de l’évocation du destin tragique d’Edgardo Mortata et de sa famille, L’Enlèvement met aussi en scène la chute des États pontificaux et l’unification de l’Italie, la victoire des idées progressistes contre l'obscurantisme papal. Un combat qui passe notamment ici par les retrouvailles entre Edgardo, le néo-catholique, et son frère devenu un combattant du Risorgimento.

Romanesque lyrique
À 83 ans, Marco Bellocchio reste fidèle à son cinéma, à son goût pour une forme de romanesque à l'ancienne. Si la reconstitution de l’Italie de la seconde moitié du XIXe siècle est solide, ce qui frappe surtout, c'est le grand lyrisme de la mise en scène de l’Italien. Un lyrisme un peu désuet, peut-être, mais qui continue de frapper les esprits. Que ce soit dans les scènes oniriques – dont un inoubliable cauchemar de Pie IX – ou dans l’utilisation de la musique, marquante, de Fabio Massimo Capogrosso, jeune compositeur qui avait déjà signé la B-O d’Esterno notte.
Visuellement impressionnant, thématiquement passionnant, L'Enlèvement a d'ores et déjà marqué ce 76e Festival de Cannes. Bellocchio en repartira-t-il de nouveau bredouille ou sera-t-il enfin consacré sur la Croisette? Réponse samedi soir.
Rapito/L’Enlèvement Drame historique De Marco Bellocchio Scénario Marco Bellocchio et Susanna Nicchiarelli Photographie Francesco Di Giacomo Musique Fabio Massimo Capogrosso Avec Fausto Russo Alesi, Paolo Pierobon, Barbara Ronchi… Durée 2h05
